Le projet « Salamandre » qu’à mené Liebherr Machines Bulle SA, à Bulle (FR), assembleur de gros moteurs à combustion, est doublement bien nommé : aux couleurs de l’entreprise, la salamandre a été dotée par la légende du pouvoir de vivre du feu. Ce que LMB accomplit avec ses moteurs : lors de leur testage, en une boucle originale, ils contribuent aux énergies du site !
Fondé en 1949 comme une entreprise familiale – ce qu’il est resté -, le groupe Liebherr compte 40 sites de production dans le monde, où il emploie 51 000 collaborateurs et collaboratrices. Sa production couvre toute la diversité des engins de chantiers, jusqu’au XXXL – dont la plus grande grue portuaire du monde – ainsi que le domaine des composants électroniques et mécaniques, en particulier les moteurs qui nous occuperont ci-après. Mentionnons toutefois en passant cette pièce hydraulique imprimée en 3D intégrée en 2017 à l’Airbus A380, une première mondiale inscrite parmi les activités du groupe Liebherr dans l’aéronautique.
Liebherr Machines Bulle SA (LMB) produit essentiellement des moteurs à combustion pour gros engins ainsi que des dispositifs hydrauliques, que Liebherr intégrera à de grosses mécaniques sur d’autres sites. Celui de Bulle, inauguré en 1978, couvre 83 700 m2 au sol pour un total de 188 100 m2. 1500 personnes s’y activent.
Parcours impressionnant que celui d’un moteur au fil de l’usine. Prenons un V20. Ce beau monstre de 4 tonnes arrive à Bulle à l’état de grosse pièce d’acier, avec une première conformation très générale, le plus marquant étant évidemment les vingt ouvertures des cylindres. Depuis l’un des hauts rayons d’entreposage qui flanquent la grande halle d’usinage, le moteur est ramené à hauteur d’homme au milieu de volumineuses machines à commande numérique. Il en visitera quelques-unes pour une série d’opérations fines d’usinage avant lavage.
Après quoi le moteur quittera l’ambiance « symphonique » de la halle d’usinage – ses souffles, frottements, grondements, percussions… – pour l’ambiance feutrée d’une halle non moins vaste. Là, au fil de chaînes d’assemblage tranquilles, lui seront greffées une succession de pièces fonctionnelles, lors d’un ballet tantôt mécanique tantôt manuel. L’autre extrémité de la halle accueille les moteurs achevés, entreposés en attente du test de contrôle et de qualification…
Le parcours jusqu’à ce point était déjà passionnant, il le devient plus encore en découvrant que le testage des moteurs ne permet pas seulement d’en évaluer le parfait fonctionnement, il contribue aussi au fonctionnement de l’usine entière. Explication : un moteur en fonctionnement s’échauffe, et quand le test se poursuit pendant de longues heures, c’est une quantité de chaleur considérable qui sera dégagée, dissipée. Ici, dégagée oui mais dissipée non. « Cette chaleur est soigneusement récupérée et redistribuée, utilisée à diverses fins : chauffage des halles, de l’eau de lavage, et au-delà, des bâtiments administratifs. Et à proximité immédiate, la centrale de chauffage de Gruyère Energie réceptionne nos surplus pour les distribuer dans son réseau de chauffage à distance », explique Daniel Wirz, en charge de l’énergie et de la maintenance chez LMB. C’est là un échange de bons procédés : la centrale peut livrer à son tour de la chaleur à LMB quand celle récupérée sur les moteurs s’avère insuffisante. Et il y a plus. « Outre de la chaleur, le testage des moteurs fournit également au site de l’électricité au moyen de génératrices ! »
Voilà pour le plus original : un produit qui devient une source majeure d’énergie sur son lieu de production. « Mais les mesures énergétiques de LMB ne s’arrêtent évidemment pas là », souligne Clément Rebillard, le conseiller AEnEC qui suit LMB. « On peut souligner aussi le remplacement en continu de moteurs électriques et luminaires par des équipements plus performants, l’étude fine et l’optimisation menées sur le fonctionnement des machines-outils – en particulier l’arrêt complet en mode stand-by – ou encore les projets à court et moyen termes autour du solaire et de la production de froid… ».
LMB pense aussi au-delà de sa consommation d’énergie. Tout en considérant que l’avenir restera ouvert aux moteurs à combustion, il s’agit de préparer le site à l’évolution attendue de la réglementation et des marchés quant à l’utilisation de nouveaux carburants non fossiles - biodiesel, hydrogène… « Le bilan carbone des activités du site a été actualisé en 2024 et complété par un plan de décarbonation à horizon 2050. Les conclusions permettront que des décisions stratégiques soient prises pour préparer l’avenir neutre en carbone », se réjouit Clément Rebillard.
25.03.2025
Liebherr Machines Bulle SA
Bulle, FR
1500
collaborateurs sur 188 100 m2
3,5 millions de CHF
d’économie sur le gaz naturel en 9 ans par récupération de chaleur
30 à 75 %
d’économies d’énergie visées par l’optimisation de processus
La confection du chocolat fait alterner différentes phases de température. Chez Villars Maître Chocolatier, à Fribourg, l’amélioration de l’efficacité énergétique est une priorité depuis très longtemps. Dernier progrès en date sur la voie de la décarbonation : une pompe à chaleur XXL construite sur mesure.
La recette du chocolat, côté énergie ? Elle commence avec les fèves de cacao qui sont transportées dans l’usine pour être nettoyées, triées, torréfiées et broyées dans un moulin. La masse de cacao liquide ainsi obtenue s’échauffe à 80° C. Après refroidissement, elle est mélangée à des ingrédients secs – sucre et poudre de lait – puis pétrie par deux broyeuses en une pâte granuleuse affinée à 18 microns. L’ajout des ingrédients liquides – beurre de cacao pressé à froid, arômes… – prépare le conchage, soit le brassage à 60° C par charges de 3 à 6 tonnes pendant 24 à 72 heures. Enfin, la masse est refroidie à 45° C avant stockage, puis à une température comprise entre 27 et 30° C. Le chocolat peut alors être coulé dans les moules.
Les cibles sont donc nombreuses pour accroître l’efficacité énergétique d’une chocolaterie, et Villars n’a eu de cesse de s’améliorer pour économiser les kWh et réduire ses émissions de CO2. Dès 1980, à peine entré dans l’entreprise, Jean-François Cotting, son actuel responsable énergie, s’était ému de l’eau de lavage et de rinçage qui filait encore chaude à l’égout. « La récupérer et la recycler a réduit fortement nos frais de chauffage », se souvient-il.
En 1995, tous les équipements consommateurs de chaleur avaient été réglés finement, indépendamment, pour une économie annuelle de 80 000 litres de mazout. Une démarche comparable dans les éléments du circuit d’air comprimé a permis de réduire d’un tiers le volume d’air à produire. L’isolation de conduites a apporté une économie de 50 000 kWh par an, la consommation électrique du gros millier de points d’éclairage a baissé de 25 % grâce aux LED, détecteurs et minuteries, tandis qu’une installation de free cooling délivre un froid tout local. Du classique, dira-t-on, efficace, soutenu par 12 techniciens, automaticiens et mécaniciens, stimulés par le défi de nouveaux locaux en 2012 et par l’engagement sans faille de la direction.
Lors de notre première visite, en 2014, le conseiller AEnEC Jean-Daniel Cramatte avait pu souligner que « les objectifs d’efficacité proposés lors de l’audit initial avaient été vite atteints et même dépassés », ajoutant que, côté chaleur, les trois chaudières à gaz produisant, pour l’une, de la vapeur et, pour les deux autres, en alternance, de l’eau à 60° C, « étaient au cœur d’études pour se passer de deux d’entre elles ».
En 2022, nous avons découvert l’aboutissement de ces années de réflexions, tests, mesures et réglages : une pompe impressionnante, qui récupère la chaleur dégagée lors du conchage. Ce bel outil, d’une puissance de 110 kW, a été construit sur mesure en concertation avec le fabricant. Tous les efforts de recherche et développement sont aujourd’hui largement récompensés. Première belle surprise : le coefficient de performance énergétique de la pompe est supérieur aux attentes. Cette superbe machine prend toute son importance dans le contexte de la décarbonation progressive à laquelle la Suisse pays s’est astreinte, objectif confirmé par le peuple dans les urnes. « En exploitation 20 heures par semaine et 47 semaines par an, elle délivre l’équivalent de la combustion de 30 000 m3 de gaz sous forme de chaleur. La réduction des émissions de CO2 se chiffre ainsi à environ 70 tonnes chaque année », précise Jean-François Cotting. Une telle installation a également une utilité immédiate, l’envolée et la volatilité des prix de l’énergie ne pouvant qu’inciter à une autonomie énergétique accrue.
Et nul doute que Villars Maître Chocolatier trouvera dans cette direction bien d’autres recettes dans les trois décennies à venir.
1 180 766 kWh
économisés par an (effet des mesures)
205,55 CO2
économisés par an (effet des mesures par an)
Fondée en 1901, la chocolaterie Villars a été d’emblée un fleuron de l’agroalimentaire fribourgeois, avec son homologue Cailler, les grandes fromageries et feu la brasserie Cardinal. Dotée d’un solide esprit d’indépendance, elle a organisé dès 1911 son propre réseau de distribution.
Après son rachat en 1995 par le groupe français Savencia, la société Villars Maître Chocolatier a poursuivi dans sa dynamique de création et lancé de nouveaux produits sous un logo épuré, seul le V rappelant une tête bovine, stylisée. En 2012, l’usine s’est installée dans un bâtiment de 13 000 m2, repris d’un producteur de pâte à base de levure, à peu de distance de la fabrique historique, classée, qui héberge encore le beau magasin inauguré en 2006.
Villars Maitre Chocolatier produit plus de 3000 tonnes de chocolat par an, entre recettes traditionnelles et innovations régulières. La moitié est distribuée en Suisse, le reste est exporté, en grande partie vers le marché français.
Implantée en 1980 à Chevenez (JU), Ateliers Busch S.A. conçoit et produit des pompes à vide avec une vision triple de la durabilité : par la commercialisation mondiale d’équipements économes en énergie, par la durée d’usage de ceux-ci et par une production elle-même attentive à réduire ses impacts.
Nichés dans un vallonnement de la verte Ajoie, prolongeant le petit village de Chevenez, les bâtiments d’Ateliers Busch SA en imposent, en vue extérieure, par leur étendue sobre et tranquille tandis que l’intérieur impressionne par l’ambiance futuriste qui se dégage des vastes halles lumineuses parcourues de longues allées où s’activent ensemble humains et machines animées par les plus récentes technologies.
Il s’agit du plus grand site de production du groupe familial allemand Busch, sur les huit sites dans le monde – quatre se trouvent en Europe, trois en Asie et un en Amérique du Nord. Ses 25 000 m2 rassemblent 500 collaborateurs et collaboratrices, sur les 3800 qu’emploie le groupe dans l’ensemble de ses implantations, dans 45 pays. L’usine de Chevenez compte notamment une cinquantaine d’ingénieurs, attentifs à porter aux plus hautes exigences toutes les étapes de la conception, de la production et de la mise en œuvre des pompes à vide et systèmes associés, pour lesquels Busch s’est imposé comme le leader mondial. 30 000 pompes sortent annuellement du site de Chevenez, pour essaimer dans un très large éventail d’applications, isolées ou en réseau centralisé, dans lesquelles la qualité de leurs matériaux les tiendront durablement actives – une longévité de plus de 30 ans n’est pas rare.
Point tout aussi important, les performances sans cesse améliorées des pompes, ainsi que les options de suivi numérique de leur exploitation, garantissent d’importantes économies d’énergie. Chaque nouvelle génération de produits permet souvent d’économiser jusqu’à 20 % d’énergie par rapport à la précédente, mais au-delà des spécifications, l’intégration chez la clientèle peut y réduire les coûts énergétiques jusqu’à 50 % – même, un réseau centralisé installé dans une usine de conditionnement alimentaire sous vide a pu y apporter une économie d’énergie de 70 %.
Durée de vie des équipements, performance et options de suivi automatisé des équipements à fins d’optimisation et de maintenance préventive et prédictive, tous ces éléments sont une forme de contribution à l’urgence d’un développement durable, respectueux des ressources et de l’environnement. Une autre contribution d’Ateliers Busch S.A. réside plus directement dans la gestion de l’énergie et des ressources pratiquée sur le site même, et désormais accompagnée par l’AEnEC.
« En 2020, nous avions procédé à un audit pour systématiser nos actions de durabilité, notamment pour l’énergie, explique Karine Bailly, responsable Maintenance & Infrastructures. Dans ce sens, nous avons conclu une convention d’objectifs avec l’aide de l’AEnEC en 2022. En additionnant tous nos engagements au niveau de l’énergie, des ressources et des déchets, nous avons actuellement une liste d’une cinquantaine d’actions. »
Un objectif est de réduire la consommation électrique de 20 % d’ici à 2030. L’usinage représente 35 % de cette consommation, l’air conditionné et le refroidissement des machines 28 %, la production et la circulation de l’air comprimé 11 % et les essais fonctionnels des pompes 7 %. C’est dire que les leviers d’actions sont nombreux et variés. La mesure des consommations machine par machine, pour en assurer l’utilisation optimale, est en déploiement, avec à court terme, un doublement du nombre des capteurs installés – « car il est difficile d’améliorer ce qui n’a pas été mesuré », souligne Adrien Macrez, en charge des systèmes qualité certifiés.
La distribution du froid, s’appuie désormais sur deux réservoirs séparés pour la climatisation et le refroidissement des équipements. Sur le circuit d’air comprimé, outre la classique traque aux fuites, une réduction de la pression de 8 à 6 bars, avec localement des surpresseurs pour des besoins particuliers, a apporté une économie appréciable, de même que le remplacement d’un compresseur par un modèle à puissance variable. L’éclairage LED généralisé dans les halles est soumis à un dispositif de contrôle poussé pour une utilisation pertinente. « Même les procédures d’essais fonctionnels de nos pompes ont donné lieu à des économies d’énergie, nous limitons désormais les tests au strict nécessaire en considérant les paramètres d’alimentation électrique selon les régions du monde » précise Adrien Macrez.
En même temps qu’Ateliers Busch SA réduit sa consommation électrique – à production industrielle égale, déjà moins 15 % depuis 2020 – la production de courant sur le site se développe : l’installation photovoltaïque déployée sur les toits doit délivrer à l’usine 1 GWh annuellement.
Du côté des besoins thermiques, les ateliers d’usinage doivent être tenus à une température de 22 à 24 °C, un intervalle maintenu par le jeu complémentaire, en fonction des saisons, de l’installation de froid et d’une pompe à chaleur qui s’est substituée au mazout. Le site a ainsi réduit d’environ 100 tonnes ses émissions de CO2, de 300 à 200 tonnes, en bonne partie grâce aux mesures d’optimisation visant la récupération de chaleur et le chauffage. Et cette progression va se poursuivre avec une récupération étendue de la chaleur émanant de compresseurs. Celle-ci ira notamment au four de la ligne de peinture – où les peintures sont à base d’eau.
Pour rester dans les liquides, les émulsions utilisées pour l’usinage représentaient jusque récemment un volume de 380 000 litres annuellement, constitué à 95 % d’eau souillée, effluent qui était confiés pour traitement à un prestataire externe. « Nous disposons désormais d’une unité de distillation qui a réduit le volume à traiter à… 11 400 litres. Nos charges économiques et écologiques – les transports ! – ont ainsi été réduites dans des proportions comparables, et de même avec nos diverses stratégies appliquées aux déchets », se réjouit Karine Bailly.
Si la vocation des pompes Busch est d’engendrer du vide, toutes les mesures énoncées ci-dessus vont à l’inverse. Amélioration après amélioration, jusque dans le détail, elles ne servent pas seulement une conformité environnementale et une meilleure efficience économique, elles sont aussi partagées à titre exemplaire, avec le personnel par voie d’informations et de formations, et par une ouverture aux questions et aux initiatives. « Celles-ci sont coordonnées par un groupe dédié, très motivé, « Be green », actif au sein de l’entreprise. Plantation d’arbres et « hôtels à insectes » sont à notre programme », explique Adrien Macrez. Plus symboliquement mais non moins joliment, l’assortiment des pompes compte quelques modèles aux noms ensauvagés : COBRA, DOLPHIN, PANDA, PUMA, …
25.03.2025
Collaborateurs
500
kWh économisés
15 % par an depuis 2020
Le grand retour du cornichon en Suisse est une action significative parmi toutes celles que Reitzel Suisse SA à Aigle (VD) engage dans le sens du développement durable. La connaissance fine du fonctionnement de sa conserverie par l’intermédiaire de dizaines de capteurs en est une autre.
« Quand on mange une fondue ou une raclette, on s’assure généralement de la provenance locale ou régionale du fromage, et aussi de celle du vin bien évidemment ! Mais qui se soucie de l’origine des cornichons ou des oignons ? », sourit Fanny Michellod, responsable Marketing & Communication au sein de Reitzel à Aigle (VD). L’usine, outre mettre en conserve cornichons et oignons, produit aussi des sauces et du vinaigre. Elle prolonge l’œuvre de Hugo Reitzel, qui en 1909 acquit à Aigle une fabrique de moutarde. Dès les années 1930, des légumes en conserve vinaigrée, et dans les années 70 des sauces toutes prêtes sont venus compléter la production du groupe Reitzel, resté familial.
Revenons donc à cette question qu’on ne se pose jamais : d’où proviennent les cornichons de nos soirées conviviales, ou ceux qu’on glisse dans nos sandwiches ? Voilà qui convie à un périple plutôt contourné. Il faut d’abord rappeler que le cornichon est la savoureuse forme juvénile du concombre, fruit d’une plante du même nom – ou savamment dit, Cucumis sativa. Cette plante est originaire des contreforts de l’Himalaya. Elle a été introduite en Europe et y a été promue potagère il y a plusieurs siècles – en France sous Louis XIV. On l’y a cultivée bientôt si largement qu’on a fini par la croire indigène !
Toutefois, il y a deux ou trois décennies, la production agro-industrielle du concombre et par là du cornichon est largement retournée sur ses terres d’origine, dans le sous-continent indien – les entreprises agro-alimentaires n’ont pu résister à l’opportunité de trois récoltes annuelles au lieu d’une. Si Reitzel a fini par suivre le mouvement, ce fut en prenant des engagements d’équité et de durabilité, qui se poursuivent, via Fairtrade notamment. « Une nouvelle vie a cependant été donnée à la production en Suisse, et aussi en France. Reitzel est la seule conserverie helvétique à le faire et à pouvoir ainsi proposer, via sa marque HUGO, du cornichon 100 % indigène, et depuis peu de l’oignon blanc local de même », souligne Fanny Michellod. C’est dire qu’il est possible de croiser des cornichons suisses aux côté d’un caquelon ou d’un four à raclette. A défaut ils sont européens, proche-orientaux, indiens…
Près de 25 agriculteurs alimentent l’usine d’Aigle, à raison de plusieurs centaines de tonnes de cornichons annuellement – 1200 tonnes en 2022. Semée en mai, en fruits dès juin, la plante est prête pour plusieurs récoltes à l’été. Chaque plan donnera environ 1 kg de cornichons sur une période d’un mois et demi. La croissance est rapide, d’autant plus que la température est élevée, et il faut parfois tout autant de rapidité et multiplier les passages, couché sur un véhicule bas, pour procéder à la cueillette tant que les fruits se tiennent encore dans les catégories « petite taille » des cornichons fins et celle « moyenne » des jeunes concombres – Reitzel ne traite pas le concombre élevé à la taille XXL que nous destinons aux salades, mais celui-ci croisera peut-être en cuisine d’autres produits de l’usine d’Aigle, vinaigre ou l’une ou l’autre sauce fine.
Retour aux cornichons contenus à la bonne dimension pour être mués en « pickles » : arrivant par grandes caisses à l’usine, ils subissent au plus vite un tri qualité, les fruits conformes sont lavés puis s’ils ne sont pas brièvement stockés, seront rapidement entraînés par tapis roulant vers un bocal où ils sont introduits par petits groupes dûment mesurés, immergés dans un vinaigre aromatisé, pasteurisés… Avant la fin de l’été, ils seront sur les rayons épiciers.
Ce petit périple a un coût en énergie et en eau, deux ressources dont Reitzel prend un même soin, quasi culinaire : les doser avec la meilleure précision. A cette fin, plusieurs dizaines de capteurs mesurant finement les consommations d’électricité, eau, vapeur et gaz ont été disposés dans les ateliers – vinaigrerie et conserveries – en deux vagues, en 2014 puis 2018. « 21 capteurs sont dédiés aux mesures électriques, 20 à l’eau courante, 7 à la vapeur, 1 au gaz et 1 à l’enregistrement de la température extérieure. Ces données, sont traitées par un ordinateur, permettant de surveiller le bon fonctionnement énergétique des installations, détecter les dérives signant un dysfonctionnement, pointer les consommations inutiles d’équipements hors activité », explique Anthony Baldassarre, le responsable maintenance. Le système fournit aussi les éléments pour quantifier les potentiels de récupération de chaleur, qu’on peut muer en ressource précieuse.
Ce réseau de capteurs a fortement contribué à ce que, entre 2016 et 2021, l’efficacité énergétique de l’usine s’accroisse de 23 %, sa consommation électrique diminue de 822 MWh et ses rejets de CO2 de 1463 tonnes.
Inaugurée en septembre 2023, la centrale solaire installée sur les toitures, avec ses 3000 m2, assurera 44 % de la consommation électrique de l’usine.
A toutes ces initiatives techniques s’ajoutent, dans le cadre d’un plan plus global de développement durable, des mesures touchant aux comportements : réduction poussée des déchets, plan de mobilité pour une partie des 115 collaborateurs et collaboratrices de l’usine, etc. Développements qui s’additionnent aux économies d’énergie et d’eau ainsi qu’à l’impact positif de cette part de la production de cornichons redevenue locale…
Qu’est-ce qui relie Louis XIV à l’isolation des bâtiments avec le meilleur écobilan ? Vous séchez ? Réponse : le site Isover de Lucens (VD) où sont produits des isolants thermiques, phoniques et de protection incendie en laine de verre.
Commençons par le rôle de Louis XIV : de la volonté du Roi-Soleil fut fondée en 1665 à Saint-Gobain, à 120 km au nord-est de Paris, une verrerie à même de concurrencer les verriers vénitiens. Trois siècles et demi plus tard, Isover est une filiale du groupe Saint-Gobain. La verrerie royale a fait son chemin, et ses révolutions.
En Suisse, Isover SA perpétue à Lucens le travail du verre par son recyclage sous la forme particulière de laine servant à l’isolation thermique, phonique et incendie. C’est sous l’enseigne Fibre de verre SA que l’entreprise a été créée dès 1937 en terre helvète, avec d’emblée la participation du groupe Saint-Gobain. Isover a adopté sa raison sociale actuelle en 1986. 170 collaborateurs et collaboratrices s’activent aujourd’hui quotidiennement dans ses vastes halles pour développer, fabriquer et commercialiser chaque année plusieurs milliers de tonnes de rouleaux et panneaux, standards ou sur mesure, pour l’isolation des bâtiments.
Quant à la belle tenue écologique des produits de l’usine, elle ressort d’une comparaison de différentes solutions d’isolation menée sous l’égide de la « Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d’ouvrage publics » (KBOB), attribuant aux isolants Isover le meilleur écobilan du marché par m2, à résistance thermique équivalente.
Fondue à plus de 1200 °C, la matière première – du verre recyclé – est ainsi liquéfiée à l’état de magma orange puis étirée en fibres. En même temps qu’elles se refroidissent, les fibres sont mêlées à un liant – en majeure partie biosourcé – et se déposent en un matelas continu rappelant la « barbe-à-papa ». Le mécanisme entraîne ensuite ce matelas vers une étuve où s’opère une polymérisation, puis vers la découpe et le conditionnement, en panneaux ou en rouleaux.
Toutes ces étapes de production sont l’objet d’évolution et d’optimisation constantes visant à progresser sur la voie de la durabilité et de la neutralité carbone. Le verre provient à 80 % de vitrages ou de bouteilles recyclés. Broyé, il est mêlé à d’autres minéraux, sans recours au sable, ce qui réduit la température nécessaire à la fusion et donc la consommation électrique. La chaleur résiduelle est dûment récupérée, et un supplément d’économie d’électricité a été obtenu par le redimensionnement des entraînements électriques du système de refroidissement, apportant sur ce poste une économie de 50 %. L’électricité utilisée est hydraulique, de production suisse, depuis plus d’une décennie, et s’y ajoute celle générée sur les toitures de l’usine qui hébergent – pour l’heure – 9000 m2 de panneaux solaires photovoltaïques fournissant l’équivalent du courant nécessaire à 500 ménages. Au niveau matière première encore, depuis 2011, un liant végétal a été substitué au liant phénolique utilisé jusque lors pour la gamme d’isolation intérieure.
Globalement, une réduction de 15 % a été acquise sur l’utilisation de l’énergie et de l’eau depuis 10 ans. Et c’est -20 % pour l’étape de l’emballage. Toutes ces actions, partie intégrante de l’ADN et de la stratégie d’Isover, permettent déjà d’afficher un excellent écobilan, mais Isover vise en outre à l’horizon 2030 de se conformer aux objectifs définis par les accords de Paris, ce qui exigera une réduction supplémentaire de 50 % de la consommation d’eau, et de 33 % des émissions de CO2 pour les scopes 1 et 2 et de 16 % pour le scope 3 de l’initiative Science Based Targets.
En sus de ces améliorations très directes relatives à l’énergie et au CO2 sur le site de Lucens, il faut considérer d’autres facteurs intervenant dans le même sens mais moins directement perceptibles. Il y a ainsi la volonté d’une production locale, swissmade, pour une utilisation locale, en Suisse, ce qui limite les transports – transports par ailleurs optimisés par ce fait que les produits en laine de verre sont très compressibles, jusqu’à 5 fois !
Il y a aussi le conseil technique et la formation dispensée aux planificateurs et entrepreneurs de la construction pour le meilleur usage des produits. Et surtout, l’utilisation desdits produits – isolants légers, performants, fruits d’innovations continues et parfaits alliés entre autres de la construction bois – est la garantie de décennies d’économies d’énergie qui excéderont après quelques mois l’énergie qui aura été nécessaire à leur production !
Tous succès et performances que Louis XIV n’aurait pu anticiper, mais qu’il ne manquerait pas de juger fort dignes de lui !
Tout en ayant des besoins importants en chaleur, un grand nombre d’exploitations artisanales et industrielles présentent une grande quantité de rejets thermiques à un niveau de température faible. Cette situation offre un potentiel d’optimisation.
Au lieu de les rejeter dans l’environnement, voire de les « gérer » à grands frais, est-il possible d’exploiter ces rejets thermiques de façon rentable ? Par où une optimisation peut-elle débuter ? Ces questions sont loin d’être insignifiantes. Concernant la seconde, diverses approches existent. L’AEnEC propose six champs de mesures d’amélioration pour aider à se repérer sur la voie de la décarbonation. Ces champs doivent être compris comme formant un tout, sans être pris isolément. Les mesures d’amélioration de l’efficacité énergétique constituent la première étape sur la voie de la décarbonation. Sur cette base, il est ensuite possible de mettre en œuvre des changements dans les processus ou dans les technologies notamment, puis d’introduire l’utilisation de nouveaux agents énergétiques qui ne dégagent pas d’émissions : une mesure d’amélioration peut consister dans l’abandon de la vapeur au profit de l’eau très chaude ou, mieux encore, elle peut consister à abaisser encore les températures ou à employer ponctuellement un producteur (électrique) rapide de chaleur.
L’une des clés de la décarbonation consiste dans la réduction de la température des processus et dans l’intégration des rejets thermiques. Avant de démarrer la planification des techniques à employer dans les processus et de prévoir leur association avec un système renouvelable de production de chaud et de froid, il faut inventorier tous les flux thermiques de l’exploitation. Pour ce faire, l’analyse du pincement ou analyse PinCH est idéale : elle fournit une vue d’ensemble de tous les flux énergétiques en indiquant de quelle manière ceux-ci peuvent être reliés entre eux au moyen de réseaux thermiques de froid et de chaud. Toutefois, en dépit d’appuis financiers, la mise en œuvre de l’analyse du pincement reste coûteuse, aussi est-elle intéressante surtout pour les exploitations intensives en énergie. L’AEnEC offre aux PME une solution alternative. Dans le cadre de son Plan Décarbonation, une application en ligne, elle propose une prise d’empreinte thermique, grâce à laquelle les entreprises disposent rapidement d’une vue d’ensemble annuelle de leurs rejets thermiques. Les flux de chaud et de froid sont aussi consignés et présentés sous une forme graphique claire. Les températures des processus sont un élément important dans la saisie des consommateurs thermiques. Pour améliorer la performance énergétique, il faut systématiquement répondre à la question d’une adaptation possible des températures (réduction pour la chaleur, relèvement pour le froid) : le processus nécessite-t-il 95 °C ou 85 °C sont-ils suffisants ? Est-il possible de faire passer les installations de vapeur à des températures plus basses, entièrement ou en partie ? Pour le froid, est-il possible de fournir 12 °C au lieu de 7 °C ? Existe-t-il d’autres technologies pouvant être employées pour les procédés ou les processus ?
Lorsque les températures des processus ont été identifiées et optimisées, on peut passer au cœur de la démarche, l’empreinte thermique, qui fait apparaître le potentiel annuel de récupération de chaleur contenue dans les rejets thermiques. Le plus souvent, les rejets thermiques sont compris dans des flux d’air, de gaz ou de liquides, ou bien ils se présentent sous forme d’une chaleur rayonnante diffuse. Plus la température d’un processus aval susceptible d’utiliser des rejets thermiques est basse, plus les sources envisageables de rejets thermiques sont nombreuses. Ces rejets sont notamment émis par des machines de production ou des installations de production, par les eaux usées, par des installations de froid, par le refroidissement de salles de serveurs ou de moteurs ou par l’air extrait de halles de production. Toutefois, la température de la source des rejets thermiques doit être supérieure à la température nécessitée par les consommateurs thermiques. Plus l’écart entre les températures est important, et donc les puissances thermiques transférables sont importantes, plus l’utilisation des rejets thermiques est rentable. Le moment est alors venu de lier ces informations à celles qui concernent les étapes de production : les processus sont-ils prévus pour des lots, la production prévoit-elle un lot par jour ou plusieurs, ou bien s’agit-il de processus continus ? En fonction du type de processus, l’entreprise peut travailler avec une récupération directe de la chaleur ou alors avec un échangeur de chaleur. Elle peut aussi avoir besoin d’un accumulateur thermique qui conservera les rejets thermiques ou le froid durant une certaine période, avant le moment de leur utilisation. Si le niveau de température des rejets thermiques ne suffit pas pour une utilisation directe, ces rejets peuvent alors être utilisés comme source thermique pour une pompe à chaleur à haute température. Non seulement ce type de pompes fait l’objet de nombreux projets de recherche, mais elles sont aussi d’ores et déjà produites en série et disponibles auprès de divers producteurs.
Exemple de la courbe thermique, de la courbe de rejets thermiques et de l’empreinte thermique d’une entreprise.
Si un système de production de chaleur renouvelable – un raccordement à un réseau de chaleur à distance, une chaudière à pellets ou à plaquettes de bois, une pompe à chaleur notamment – est dimensionné de la même manière qu’une chaudière à gaz ou qu’une chaudière à mazout, ce système sera inévitablement surdimensionné, cher et inefficace. En effet, les systèmes de production de chaleur renouvelables sont nettement plus coûteux par kilowatt de rendement thermique supplémentaire. Pour les chauffages à bois et les pompes à chaleur plus particulièrement, une exploitation continue, et non pas cadencée, est souhaitable. Il faut en effet tenir compte des gaz de fumée et de la production de particules fines pour les chauffages à bois et de pertes élevées au démarrage ou d’une charge mécanique élevée du compresseur pour les pompes à chaleur. ProCalor est un outil technique de dimensionnement intégré dans le Plan Décarbonation, l’application web de l’AEnEC. Cet outil calcule le dimensionnement correct de la nouvelle production de chaleur, et de l’accumulateur, pour réduire les pics de besoin.
Que conclure pour les exploitations artisanales ou industrielles ? Les exploitations qui ont besoin de températures allant jusqu’à 120 °C environ peuvent théoriquement être entièrement décarbonées au moyen de technologies éprouvées. Pour des températures plus élevées, il sera difficile de faire l’impasse sur la biomasse ou sur de nouveaux agents énergétiques, comme des agents énergétiques renouvelables synthétiques notamment. Il faut maintenant que les connaissances disponibles soient largement mises en pratique, au moyen d’outils intuitifs et grâce aux conseils spécialisés fournis par des experts et expertes.
Stefan Eggimann
est chef du modèle PME de l’AEnEC, conseiller AEnEC et membre de la direction de Weisskopf Partner Sàrl, où il s’occupe plus particulièrement de projets industriels.
Philippe Goffin
est chef de projet de l’initiative « Science Based Targets iSBT » à l’AEnEC et travaille chez Weisskopf Partner.