Le projet « Salamandre » qu’à mené Liebherr Machines Bulle SA, à Bulle (FR), assembleur de gros moteurs à combustion, est doublement bien nommé : aux couleurs de l’entreprise, la salamandre a été dotée par la légende du pouvoir de vivre du feu. Ce que LMB accomplit avec ses moteurs : lors de leur testage, en une boucle originale, ils contribuent aux énergies du site !
Fondé en 1949 comme une entreprise familiale – ce qu’il est resté -, le groupe Liebherr compte 40 sites de production dans le monde, où il emploie 51 000 collaborateurs et collaboratrices. Sa production couvre toute la diversité des engins de chantiers, jusqu’au XXXL – dont la plus grande grue portuaire du monde – ainsi que le domaine des composants électroniques et mécaniques, en particulier les moteurs qui nous occuperont ci-après. Mentionnons toutefois en passant cette pièce hydraulique imprimée en 3D intégrée en 2017 à l’Airbus A380, une première mondiale inscrite parmi les activités du groupe Liebherr dans l’aéronautique.
Liebherr Machines Bulle SA (LMB) produit essentiellement des moteurs à combustion pour gros engins ainsi que des dispositifs hydrauliques, que Liebherr intégrera à de grosses mécaniques sur d’autres sites. Celui de Bulle, inauguré en 1978, couvre 83 700 m2 au sol pour un total de 188 100 m2. 1500 personnes s’y activent.
Parcours impressionnant que celui d’un moteur au fil de l’usine. Prenons un V20. Ce beau monstre de 4 tonnes arrive à Bulle à l’état de grosse pièce d’acier, avec une première conformation très générale, le plus marquant étant évidemment les vingt ouvertures des cylindres. Depuis l’un des hauts rayons d’entreposage qui flanquent la grande halle d’usinage, le moteur est ramené à hauteur d’homme au milieu de volumineuses machines à commande numérique. Il en visitera quelques-unes pour une série d’opérations fines d’usinage avant lavage.
Après quoi le moteur quittera l’ambiance « symphonique » de la halle d’usinage – ses souffles, frottements, grondements, percussions… – pour l’ambiance feutrée d’une halle non moins vaste. Là, au fil de chaînes d’assemblage tranquilles, lui seront greffées une succession de pièces fonctionnelles, lors d’un ballet tantôt mécanique tantôt manuel. L’autre extrémité de la halle accueille les moteurs achevés, entreposés en attente du test de contrôle et de qualification…
Le parcours jusqu’à ce point était déjà passionnant, il le devient plus encore en découvrant que le testage des moteurs ne permet pas seulement d’en évaluer le parfait fonctionnement, il contribue aussi au fonctionnement de l’usine entière. Explication : un moteur en fonctionnement s’échauffe, et quand le test se poursuit pendant de longues heures, c’est une quantité de chaleur considérable qui sera dégagée, dissipée. Ici, dégagée oui mais dissipée non. « Cette chaleur est soigneusement récupérée et redistribuée, utilisée à diverses fins : chauffage des halles, de l’eau de lavage, et au-delà, des bâtiments administratifs. Et à proximité immédiate, la centrale de chauffage de Gruyère Energie réceptionne nos surplus pour les distribuer dans son réseau de chauffage à distance », explique Daniel Wirz, en charge de l’énergie et de la maintenance chez LMB. C’est là un échange de bons procédés : la centrale peut livrer à son tour de la chaleur à LMB quand celle récupérée sur les moteurs s’avère insuffisante. Et il y a plus. « Outre de la chaleur, le testage des moteurs fournit également au site de l’électricité au moyen de génératrices ! »
Voilà pour le plus original : un produit qui devient une source majeure d’énergie sur son lieu de production. « Mais les mesures énergétiques de LMB ne s’arrêtent évidemment pas là », souligne Clément Rebillard, le conseiller AEnEC qui suit LMB. « On peut souligner aussi le remplacement en continu de moteurs électriques et luminaires par des équipements plus performants, l’étude fine et l’optimisation menées sur le fonctionnement des machines-outils – en particulier l’arrêt complet en mode stand-by – ou encore les projets à court et moyen termes autour du solaire et de la production de froid… ».
LMB pense aussi au-delà de sa consommation d’énergie. Tout en considérant que l’avenir restera ouvert aux moteurs à combustion, il s’agit de préparer le site à l’évolution attendue de la réglementation et des marchés quant à l’utilisation de nouveaux carburants non fossiles - biodiesel, hydrogène… « Le bilan carbone des activités du site a été actualisé en 2024 et complété par un plan de décarbonation à horizon 2050. Les conclusions permettront que des décisions stratégiques soient prises pour préparer l’avenir neutre en carbone », se réjouit Clément Rebillard.
25.10.2024
Liebherr Machines Bulle SA
Bulle, FR
1500
collaborateurs sur 188 100 m2
3,5 millions de CHF
d’économie sur le gaz naturel en 9 ans par récupération de chaleur
30 à 75 %
d’économies d’énergie visées par l’optimisation de processus
Qu’est-ce qui relie Louis XIV à l’isolation des bâtiments avec le meilleur écobilan ? Vous séchez ? Réponse : le site Isover de Lucens (VD) où sont produits des isolants thermiques, phoniques et de protection incendie en laine de verre.
Commençons par le rôle de Louis XIV : de la volonté du Roi-Soleil fut fondée en 1665 à Saint-Gobain, à 120 km au nord-est de Paris, une verrerie à même de concurrencer les verriers vénitiens. Trois siècles et demi plus tard, Isover est une filiale du groupe Saint-Gobain. La verrerie royale a fait son chemin, et ses révolutions.
En Suisse, Isover SA perpétue à Lucens le travail du verre par son recyclage sous la forme particulière de laine servant à l’isolation thermique, phonique et incendie. C’est sous l’enseigne Fibre de verre SA que l’entreprise a été créée dès 1937 en terre helvète, avec d’emblée la participation du groupe Saint-Gobain. Isover a adopté sa raison sociale actuelle en 1986. 170 collaborateurs et collaboratrices s’activent aujourd’hui quotidiennement dans ses vastes halles pour développer, fabriquer et commercialiser chaque année plusieurs milliers de tonnes de rouleaux et panneaux, standards ou sur mesure, pour l’isolation des bâtiments.
Quant à la belle tenue écologique des produits de l’usine, elle ressort d’une comparaison de différentes solutions d’isolation menée sous l’égide de la « Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d’ouvrage publics » (KBOB), attribuant aux isolants Isover le meilleur écobilan du marché par m2, à résistance thermique équivalente.
Fondue à plus de 1200 °C, la matière première – du verre recyclé – est ainsi liquéfiée à l’état de magma orange puis étirée en fibres. En même temps qu’elles se refroidissent, les fibres sont mêlées à un liant – en majeure partie biosourcé – et se déposent en un matelas continu rappelant la « barbe-à-papa ». Le mécanisme entraîne ensuite ce matelas vers une étuve où s’opère une polymérisation, puis vers la découpe et le conditionnement, en panneaux ou en rouleaux.
Toutes ces étapes de production sont l’objet d’évolution et d’optimisation constantes visant à progresser sur la voie de la durabilité et de la neutralité carbone. Le verre provient à 80 % de vitrages ou de bouteilles recyclés. Broyé, il est mêlé à d’autres minéraux, sans recours au sable, ce qui réduit la température nécessaire à la fusion et donc la consommation électrique. La chaleur résiduelle est dûment récupérée, et un supplément d’économie d’électricité a été obtenu par le redimensionnement des entraînements électriques du système de refroidissement, apportant sur ce poste une économie de 50 %. L’électricité utilisée est hydraulique, de production suisse, depuis plus d’une décennie, et s’y ajoute celle générée sur les toitures de l’usine qui hébergent – pour l’heure – 9000 m2 de panneaux solaires photovoltaïques fournissant l’équivalent du courant nécessaire à 500 ménages. Au niveau matière première encore, depuis 2011, un liant végétal a été substitué au liant phénolique utilisé jusque lors pour la gamme d’isolation intérieure.
Globalement, une réduction de 15 % a été acquise sur l’utilisation de l’énergie et de l’eau depuis 10 ans. Et c’est -20 % pour l’étape de l’emballage. Toutes ces actions, partie intégrante de l’ADN et de la stratégie d’Isover, permettent déjà d’afficher un excellent écobilan, mais Isover vise en outre à l’horizon 2030 de se conformer aux objectifs définis par les accords de Paris, ce qui exigera une réduction supplémentaire de 50 % de la consommation d’eau, et de 33 % des émissions de CO2 pour les scopes 1 et 2 et de 16 % pour le scope 3 de l’initiative Science Based Targets.
En sus de ces améliorations très directes relatives à l’énergie et au CO2 sur le site de Lucens, il faut considérer d’autres facteurs intervenant dans le même sens mais moins directement perceptibles. Il y a ainsi la volonté d’une production locale, swissmade, pour une utilisation locale, en Suisse, ce qui limite les transports – transports par ailleurs optimisés par ce fait que les produits en laine de verre sont très compressibles, jusqu’à 5 fois !
Il y a aussi le conseil technique et la formation dispensée aux planificateurs et entrepreneurs de la construction pour le meilleur usage des produits. Et surtout, l’utilisation desdits produits – isolants légers, performants, fruits d’innovations continues et parfaits alliés entre autres de la construction bois – est la garantie de décennies d’économies d’énergie qui excéderont après quelques mois l’énergie qui aura été nécessaire à leur production !
Tous succès et performances que Louis XIV n’aurait pu anticiper, mais qu’il ne manquerait pas de juger fort dignes de lui !
25.10.2024
« Pour conserver nos marges, nous travaillons à nous libérer des coûts de l’énergie, dont on ne sait ce qu’ils seront demain. » Ces mots, qui remontent à près de dix ans, sont le credo du co-directeur d’une PME qui s’était déjà engagée alors sur la voie de la décarbonation.
En 2014, la loi sur l’énergie du canton de Vaud entre en vigueur. Un article enjoint les grands consommateurs à prendre des mesures pour réduire leur consommation énergétique et leurs émissions de CO2. À cette occasion, l’AEnEC et la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI) co-organisent une conférence de presse à Lausanne. La conseillère d’État Jacqueline de Quattro y participe, tout comme Denys Kaba, co-directeur de Metalcolor SA, PME grande consommatrice d’énergie. L’entreprise, installée à Forel (VD), est spécialisée dans la peinture sur bande d’aluminium et exporte plus de 90 % de sa production dans l’Union européenne.
À la question « Les nouvelles contraintes légales sur l’énergie affecteront-elles votre compétitivité sur les marchés européens ? », Denys Kaba avait délivré cette réponse tranquille : « Non, car nous travaillons depuis de nombreuses années à améliorer et à certifier l’efficacité énergétique de notre entreprise. Nous sommes convaincus que la réduction de nos coûts énergétiques et de notre dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles, ainsi que nos certifications, constitueront à terme l’une des clés de notre compétitivité sur des marchés très concurrentiels. » Pour Metalcolor, améliorer l’efficacité énergétique est un moteur pour des investissements structurels et aussi pour des optimisations de processus réalisées collectivement. Dans cette approche, chaque collaborateur et collaboratrice traque le moindre gaspillage à tous les niveaux : énergie, matières premières, déplacements, gestes, temps d’action, et peut suggérer une pratique plus judicieuse.1
« L’énergie est l’une des clés de notre compétitivité sur des marchés très concurrentiels. »
Denys Kaba, co-directeur, Metalcolor SA
Puis début 2015, la Confédération annonce l’abandon du taux plancher du franc face à l’euro. Les entreprises exportatrices font la grimace, mais le discours de Denys Kaba ne change pas : « Nous entretiendrons nos marges en nous libérant le plus possible des coûts de l’énergie, qui sont volatils et imprévisibles. »
Sept ans plus tard, cette volatilité a pris la forme d’une nouvelle réalité mondiale plus que préoccupante. Au début de l’été 2022, Denys Kaba peut cependant constater que « Metalcolor n’est pas affectée par l’envol des prix de l’énergie ». En effet, l’usine s’est récemment dotée d’un volumineux incinérateur de solvants, qui ne nécessite qu’un peu de gaz pour sa mise en route. Ensuite, le fonctionnement est auto-entretenu au moyen de la chaleur récupérée de la destruction des solvants. Et les excédents de chaleur permettent de chauffer tout à la fois les fours des deux lignes de laquage, les vastes halles de production et de stockage ainsi que le bâtiment administratif voisin, autrefois chauffés au mazout. Grâce à cet investissement et à d’autres mesures d’optimisation, l’intensité en CO2 de Metalcolor a été améliorée de 40 % en comparaison avec 2013. Quant à l’électricité, 40 % des besoins de l’entreprise sont couverts par la production d’une centrale photovoltaïque en contracting installée sur les toitures. Ce sera même deux tiers dès lors qu’une solution de stockage sera en place.
En résumé, bien avant que le thème ne soit devenu d’une brûlante actualité, comme en témoignent les manifestations pour le climat et des événements météorologiques extrêmes, une entreprise a poursuivi résolument sur la voie de la décarbonation, pour « se libérer des coûts de l’énergie et de leur volatilité ». Elle s’est ainsi donné les moyens d’amortir le choc d’une crise énergétique sans précédent sur fond de conflit. Et par là-même, elle s’est assurée de rester concurrentielle.
1Fokus 2021, p. 66, Lean & Kaizen
25.10.2024
Metalcolor SA
Forel, VD
+ 60,1 %
Efficacité énergétique (2013-2021)
– 37,2 %
Intensité en CO₂ (combustibles)
Fondée en 1929 à Berne, la chocolaterie Camille Bloch SA s’est déplacée en 1935 à Courtelary, dans le Jura bernois, dans une ancienne fabrique de papier proche d’une petite rivière, la Suze. Elle y emploie aujourd’hui près de 200 personnes. Cinquième en taille des fabricants suisses de chocolat, Camille Bloch produit environ 3500 t de chocolat par an : le fameux Ragusa, né en 1942, la gamme Torino initiée en 1948 et des chocolats fourrés à la liqueur. 20 % de cette production sont exportés. En Suisse, la part de marché a doublé en moins de dix ans, passant les 5 %.
Successions familiales, agrandissements et transformations ont rythmé le progrès régulier de l’entreprise. Inaugurée en octobre 2017, l’extension incluant un superbe espace d’accueil pour les visiteurs illustre une volonté aboutie d’efficacité énergétique. Entre l’isolation de bâtiments hérités d’un temps où économiser l’énergie n’était pas une priorité, et les hautes exigences appliquées aux bâtiments neufs, l’ensemble du site est quasi aux normes Minergie.
Au long des chaînes de production, c’est avec une même efficacité et des équipements optimisés qu’on souffle le chaud et le froid requis pour la fabrication de spécialités chocolatières. « Nos efforts portent autant sur la réduction de notre consommation que sur l’utilisation de sources d’énergie renouvelables », résume Jean Kernen, directeur opérationnel. Camille Bloch SA est de fait en passe de réussir un « grand chelem » côté renouvelable. L’essentiel de la chaleur provient depuis 2016 d’un chauffage à distance au bois local, en plus de la récupération de chaleur sur certains équipements. Le recours au bois a réduit de trois-quarts la consommation de mazout et va permettre dès 2023, par un couplage chaleur-force, d’ajouter de l’électricité locale à celle des panneaux photovoltaïques déployés sur le toit. Quant au froid, il est assuré à la fois par un contingent d’eau prélevé dans la rivière voisine, par l’air jurassien via une installation de free cooling ainsi que par le jeu de pompes à chaleur intégrées à certaines machines. Au bilan, la chocolaterie utilisera bientôt 94 % d’énergie renouvelable dont 64 % de provenance locale.
25.10.2024
Breitling SA s’est distingué en réduisant de moitié la consommation énergétique de sa manufacture de La Chaux-de-Fonds (NE), grâce notamment à un judicieux « switch off ». Plus récemment, la marque horlogère a intégré à son siège de Granges (SO) un département dédié à la durabilité.
Fernand Moullet, responsable Énergie et technique de la manufacture
Pour Fernand Moullet, responsable Énergie et technique de la manufacture chaux-de-fonnière de Breitling SA, 2022 sera l’année de la retraite. Avec le sentiment du travail bien fait : les mesures énergétiques qu’il a déployées sur le site entre 2013 et 2018, en étroite complicité avec Yann Chapatte, le directeur financier d’alors, continuent d’accumuler leurs effets. Lesquels sont considérables, et c’est peu dire lorsqu’on passe d’une consommation annuelle de 3 300 000 kWh à 1 700 000 kWh, soit une réduction de 25 % pour l’électricité et de 75 % pour le gaz.
Avait-t-il fallu de gros investissements ? Non, du bon sens surtout. Ainsi, au sous-sol de la manufacture, cinq gros monoblocs de ventilation entretiennent dans les ateliers les conditions requises par le travail horloger, soit une température de 23 °C avec une humidité relative de 50 %. Pour maintenir ces paramètres, il était prescrit initialement une ventilation ininterrompue. Pas convaincu, Fernand Moullet a expérimenté des arrêts nocturnes. « J’ai pu ainsi vérifier que l’excellente isolation de l’usine garantissait la juste température et le bon taux d’humidité dans les heures d’activité, malgré l’arrêt total de la ventilation entre 18 heures et 6 heures. Par la suite, la consommation de gaz, et donc les émissions de CO2, ont encore été réduites grâce au bouclage du circuit pour utiliser davantage d’air recyclé, déjà chauffé. »
Dans ce même esprit, Fernand Moullet a aussi abaissé la pression dans le circuit d’air comprimé de l’usine de 11 à 6,5 bars. « C’est suffisant pour la plupart des tâches, un surpresseur pouvant servir localement une opération spécifique. Un bar en moins, c’est 10 % d’énergie économisée. »
Une même optimisation méticuleuse, « horlogère », avait porté sur le froid et le chaud nécessaires à tout atelier de mécanique. Elle se poursuit, poste par poste : récemment, c’est l’air chaud sur les lignes d’assemblage qui a été ciblé pour être récupéré, pour le chauffage en hiver et pour la déshumidification en été, un impératif horloger.
De même, les LED poursuivent aujourd’hui leur conquête des locaux : leur avantage est bien sûr leur faible consommation, mais elles dégagent aussi moins de chaleur que les autres sources, et réduisent la climatisation nécessaire pour stabiliser la température des ateliers, d’où une économie supplémentaire d’énergie.
Les ampoules et les tubes fluorescents chassés par les LED achèvent leur temps d’usage dans des annexes peu utilisées. « Cette solution prend en compte leur énergie grise », justifie Fernand Moullet, qui aime à répéter que « les petits ruisseaux font les grandes rivières. » Amusante formule chez quelqu’un qui a aussi, à l’occasion, mué quelques « grandes rivières » en « petits ruisseaux », pour des économies d’eau considérables au niveau sanitaire, et même « gigantesques » – dixit Fernand Moullet dans ses archives – lorsque les serveurs informatiques ont été desservis en froid par un détour du circuit d’eau de refroidissement de l’usine.
Enfin, Breitling SA ayant doté sa direction de Granges (SO) d’un département voué à la durabilité et à la décarbonation en 2020, Fernand Moullet voit se préciser son projet de centrale solaire photovoltaïque, touche finale à une belle oeuvre. Et pour sa retraite, ce passionné de vélo a d’ores et déjà en tête de nouvelles performances environnementales : il entend notamment collecter les déchets jetés en bord de route, en cycliste recycleur.
Fondée en 1884 à Saint-Imier (BE), la marque Breitling a pris ses quartiers à La Chaux-de-Fonds (NE) dès 1892. Elle a rapidement acquis une renommée de précision et de fiabilité au service des sciences, de l’industrie et des sports, puis de l’aviation. Breitling SA est l’une des rares marques à équiper tous ses modèles de mouvements certifiés chronomètres, intégralement conçus et fabriqués dans sa manufacture de La Chaux-de-Fonds. Dans son bâtiment agrandi en 2007, qui abrite 200 collaborateurs, 150 horlogers et opérateurs assurent la production de 200 000 montres par an.
25.10.2024
Geberit Fabrication SA à Givisiez (FR) produit des tubes composites pour transporter l’eau potable. Grâce à une amélioration de procédé et à un changement de matière première, l’usine a réduit sa consommation de gaz de 90 % et a considérablement amélioré son bilan carbone.
Un polyéthylène, une bande d’aluminium et de l’adhésif : les ingrédients d’un tube composite destiné au transport de l’eau potable.
« Le polyéthylène en pâte très fluide (au centre) jaillit d’une tête d’extrusion. Fluidité éphémère : il durcit immédiatement, conformé en tube », explique Olivier Jeanbourquin, responsable Qualité et environnement.
Olivier Jeanbourquin, responsable Qualité et environnement
Geberit Fabrication SA à Givisiez, l’un des trois sites de production en Suisse du leader européen du sanitaire, est dédiée à la fabrication de tubes composites pour l’eau potable. Cette usine a succédé en 1991 à une première usine, construite en 1981 à Marly sous l’enseigne Fluid Air Energy (FAE) et détruite par un incendie en 1988. Le groupe Geberit est entré dans le capital actions de FAE en 1987, avant d’en faire l’acquisition en 2001. Le nouveau bâtiment a été agrandi de nouvelles halles en 2004 puis 2008. Le site déploie aujourd’hui sur 20 000 m2 cinq lignes de production de tubes flanquées d’aires de conditionnement. Ses ateliers et bureaux accueillent 56 collaboratrices et collaborateurs, pour une activité qui voit se relayer en continu trois équipes, succès oblige.
Un tube destiné à transporter de l’eau potable doit satisfaire à de hautes exigences techniques et respecter toutes les normes propres à chaque pays de destination. Olivier Jeanbourquin, le responsable Qualité et environnement de l’usine, nous accompagne au long de la mise en forme d’un « tube en barre », rigide, type « petite conduite ». Nous sommes dans la technique sanitaire, l’échelle n’est pas celle des grandes canalisations. « Notre production est constituée pour moitié de tubes en barres dans des diamètres qui vont de 16 à 75 mm selon les modèles. Dans des diamètres plus petits, de 16 à 32 mm, un quart de notre production consiste dans des tubes en rouleaux nus et un autre quart dans des tubes en rouleaux isolés avec de la mousse de polyéthylène », précise le technicien.
Tout commence par de petits granulés de PE-RT, un polyéthylène. Chauffés, les granulés se muent en une pâte très fluide qui jaillit d’une tête d’extrusion pour habiller un support de métal cylindrique. Ce jaillissement de plastique presque vaporeux est un fantôme éphémère : quelques centimètres plus loin déjà, la pâte a durci après avoir pénétré dans une chambre sous vide – afin de garantir les dimensions du tube – dans laquelle elle a été refroidie avec de l’eau. Il lui reste maintenant à traverser les 80 à 110 mètres de la ligne de production. « Ligne » est ici un terme plus qu’approprié pour ce trajet rectiligne, parfois courbe selon la vitesse de production du tube, et qui se terminera avec un coup de scie. En route, le tube, en cours de fabrication est d’abord enrobé d’une couche mince d’adhésif, puis gainé d’aluminium à partir d’une bande qui le rejoint en continu par au-dessous. Celle-ci est repliée en cylindre et soudée – par arc électrique avec électrode au tungstène ou par laser selon les lignes de production. Une brève étape de chauffage fixe l’adhésif désormais enclos et déjà, l’aluminium est à son tour recouvert d’un autre adhésif avant qu’une ultime extrusion n’habille le tout d’une couche extérieure de PE-RT – retenez le nom, nous en reparlerons. Définitivement refroidi, le tuyau file vers la scie, qui le taillera à la longueur souhaitée – selon les produits, ce peut être 3, 5, 25, 50, 100, 120, 200 ou 250 mètres – après qu’il a été marqué, par jet d’encre ou laser, avec les diverses indications qui permettront sa traçabilité et avec la mention des différentes normes internationales et nationales auxquelles le tube se conforme.
Nul besoin toutefois d’aller trop loin pour retrouver un éventuel lot problématique, comme le souligne Olivier Jeanbourquin : « Le contrôle de conformité et de qualité est constant. Des mesures automatiques de diamètre sont opérées tout au long de la ligne et les résultats s’affichent en temps réel sur un écran. Si une valeur est hors tolérance, la partie de tube défectueuse est automatiquement identifiée et éliminée en fin de ligne. » De plus, des échantillons sont fournis automatiquement à intervalles réguliers par la ligne de production. Ils sont contrôlés visuellement, mesurés et subissent des tests normalisés, notamment sur la tenue des adhésifs. Ces tests s’effectuent dans un local climatisé installé au coeur des lignes. Les résultats sont saisis informatiquement et apparaissent en rouge sur les écrans de contrôle en cas de valeur hors tolérance. Après quoi les échantillons sont transmis au laboratoire pour des tests de résistance à la pression.
Une fois validés, tubes en barres ou rouleaux – ceux-ci longs de 50 à 250 m – sont emballés, prêts pour l’expédition. Plus de 20 millions de mètres de tuyaux sortent annuellement des lignes de Givisiez. Cette production est intégralement envoyée au centre logistique de Pfüllendorf, dans le Bade-Wurtemberg – où a été établie en 1955 la première filiale de Geberit hors de Suisse. Cette centrale stratégiquement située voit converger tous les produits du groupe. « Comme les distributeurs ou les chantiers nécessitent généralement un assortiment de produits issus de plusieurs sites de production spécialisés, la centralisation permet d’optimiser et de limiter les transports, pour un gain à la fois économique et écologique », explique Olivier Jeanbourquin.
Les objectifs environnementaux et climatiques appliqués au sein de l’usine de Givisiez s’inscrivent de même parmi les décisions prises au sein de la maison-mère de Rapperswil-Jona. Une part des mesures mises en oeuvre relèvent des désormais « classiques » du temps. « Notre éclairage a passé au LED, notre courant est certifié vert et 3048 m² de panneaux solaires en contracting sur notre toit assurent depuis 2013 11 % des besoins de l’usine. Sur le toit également, nos équipements de free cooling génèrent le froid pour le refroidissement des tubes en cours de production. Et nous appliquons depuis 2014 un programme de remplacement des moteurs DC par des moteur AC énergétiquement plus efficaces », détaille Olivier Jeanbourquin. D’autres mesures sont plus spécifiques au site, telles que la substitution de la soudure par laser à la soudure avec électrode : « Le laser livre un travail plus rapide avec moins de rebut, d’où gain de temps et d’énergie ». De même, le marquage par laser des informations sur les tubes se substitue à l’impression par jet d’encre, qui nécessite un traitement plasma et un nettoyage régulier des têtes d’imprimante. Là aussi, le rebut et les pertes de temps diminuent, tandis que les solvants sont complètement abandonnés.
« Le PE-RT, quand il a été reconnu par les normes, nous a ouvert de nouvelles perspectives énergétiques. »
Olivier Jeanbourquin, responsable Qualité et environnement
Une amélioration de procédé suivie d’un changement de matériau a conduit à des progrès énergétiques majeurs pour l’usine. Longtemps, la matière première a été le PE-Xb, qui est un polyéthylène dit « réticulé ». Le PE-Xb nécessitait que les tubes passent par une étape particulière pour activer la réticulation du matériau. « Il leur fallait un séjour de 8 heures dans l’eau en autoclave à 110°C sous une pression de 2 bars, un traitement coûteux en énergie », explique Olivier Jeanbourquin. Une solution avait été trouvée pour dégazer et réutiliser l’eau encore chaude, ce qui avait réduit la consommation de gaz de 60 % environ, et celle d’eau de 90 % ».
L’avènement du PE-RT – nous y revenons – a encore amélioré les choses. De la même famille chimique que le PE-Xb, le PE-RT présente lui aussi une bonne résistance à l’eau chaude, mais il ne nécessite pas, pour sa réticulation, d’étape supplémentaire en autoclave au sortir de la ligne de production. « Quand le PE-RT a été reconnu par les normes ISO relatives aux tubes pour l’eau potable, il nous a ouvert de nouvelles perspectives énergétiques. En demandant toutefois un peu de patience, souligne Olivier Jeanbourquin. Il a fallu obtenir l’homologation de nos tubes composites en PE-RT par les organismes d’accréditation, en passant par des tests effectués par des laboratoires agréés, ce qui a exigé environ deux ans. Ensuite seulement, il a été possible d’adapter nos outils . » La production avec le PE-RT a démarré en 2016 avec pour conséquence énergétique une nouvelle baisse de 60 % de la consommation de gaz. En tonnes d’équivalents CO2, les émissions de l’usine s’établissent aujourd’hui à un sixième de ce qu’elles étaient en 2013. Rapportée au mètre produit, la consommation de gaz a été réduite de près de 90 % depuis 2003.
À côté des mesures que l’on peut appliquer directement pour les procédés et les produits afin de réduire la consommation d’énergie et l’empreinte carbone d’une production, les normes représentent un levier d’action intéressant – ou à défaut un frein potentiel – dans le contexte de la décarbonation. S’agissant de nouveaux matériaux, on peut songer, dans un autre secteur qu’à Givisiez, à certains excès d’exigence visà-vis des ciments : des normes prescrivent qu’ils doivent être purs dans des applications pour lesquelles des ciments mêlés de divers matériaux recyclés suffiraient – ces ciments mêlés affichent un bilan carbone significativement amélioré. Pour en revenir aux tubes pour l’eau potable, « Geberit étant présent sur les marchés de très nombreux pays, avec chacun ses normes propres, y compris au sein de l’Union européenne, toute évolution dans leur composition entraîne un processus long, coûteux et compliqué d’homologation, comme l’illustre notre passage au PE-RT », souligne en conclusion Olivier Jeanbourquin. Si tout pouvait être aussi fluide que ce défilé soutenu, régulier des tubes composites auquel nous avons assisté, le temps d’une visite à Givisiez.
Geberit Fabrication SA
Givisiez (FR)
Le groupe Geberit, qui opère à l’échelle mondiale, est un leader européen dans le domaine des produits sanitaires. Il affiche une forte présence locale dans la plupart des pays d’Europe, avec une offre unique en matière de technologie sanitaire et de céramique de salle de bains.
Son réseau de production comprend 29 sites soit 23 en Europe, 3 aux USA et 3 en Asie. Le siège social du groupe se trouve à Rapperswil-Jona, en Suisse. Avec environ 12 000 employés dans une cinquantaine de pays, Geberit a réalisé un chiffre d’affaires net de 3 milliards de francs suisses en 2020. Les actions Geberit sont cotées au SIX Swiss Exchange et font partie du SMI (Swiss Market Index) depuis 2012.
25.10.2024