Les interdépendances du trilemme énergétique – sécurité d’approvisionnement, rentabilité et impact sur l’environnement – sont plus présentes que jamais. Dans le même temps, tandis que les dépendances vis-à-vis de l’étranger se renforcent sur le front de l’énergie et des matières premières, les chaînes mondiales d’approvisionnement se fragilisent. Il est grand temps que nous nous souvenions de nos atouts.
En politique comme dans la société, le débat sur la sécurité de l’approvisionnement énergétique bat son plein. Longtemps, ce débat était largement dominé par des thèmes de politique énergétique intérieure : parviendrons-nous à produire suffisamment tôt les nouvelles énergies renouvelables nécessaires à la fois pour disposer de plus d’électricité l’hiver et pour remplacer les centrales nucléaires progressivement démantelées ? Comment le trilemme énergétique qui met face à face sécurité de l’approvisionnement, rentabilité et impact sur l’environnement évolue-t-il ?
De plus, nous nous trouvons confrontés à des changements dans les chaînes mondiales d’approvisionnement énergétique et l’invasion de l’Ukraine par la Russie a bouleversé le paysage géopolitique. Notre trilemme énergétique se durcit : à l’heure où nous devrions poser les jalons si essentiels de nos stratégies de décarbonation à moyen et long terme, nous voici contraints de nous concentrer sur la sécurité à court terme de notre approvisionnement en énergies fossiles, assuré par des importations. Quant aux prix de l’énergie, de manière peu surprenante, ils augmentent, ce qui est d’ailleurs aussi une stratégie, dès lors que l’énergie devient un pion de la géopolitique. Dans de nombreux États membres de l’UE, les réactions à ces hausses font naître des fleurs singulières dans la politique industrielle. Les récentes subventions de certains pays sont un poison pour l’industrie suisse intensive en énergie, qui, au lieu de contribuer au règlement du problème de l’énergie et des ressources, se trouve ainsi elle-même plongée dans des questions de survie en raison de son emplacement. À cet égard, on ne voit malheureusement pas encore de solution se dessiner.
Mais revenons-en au trilemme et à la géopolitique. La transformation du système d’approvisionnement énergétique fait partie intégrante de la mutation que connaît la politique européenne de sécurité, c’est une évidence. Pareil changement nous met face à un nouveau dilemme opposant indépendance énergétique et risques liés à l’approvisionnement. Depuis 2011, l’UE a dressé une liste des matières premières considérées comme critiques en raison de leur poids économique et des dégâts que pourrait causer une rupture dans leur chaîne d’approvisionnement. Or, année après année, cette liste s’allonge.
Osons une fuite en avant. En diversifiant nos sources d’approvisionnement et en collaborant avec nos partenaires stratégiques, nous devons garantir à notre industrie un approvisionnement en énergie et en matières premières suffisant, à des prix compétitifs. Des conditions-cadres de qualité, que nous pouvons pour l’essentiel concevoir nous-mêmes, doivent non seulement conserver, mais aussi améliorer l’attrait de la Suisse en tant que site de recherche et de production. Si l’industrie technologique suisse conserve son avance en matière d’innovation y compris à l’avenir, nous aurons contribué, grâce à de nombreux produits indispensables reposant sur des technologies de pointe, à relever les plus grands défis du monde. Nous opposons alors à nos dépendances une réponse d’envergure.
L’auteur
Philipp Bregy est responsable du secteur énergie de Swissmem, l’association des PME et des grandes entreprises de l’industrie technologique suisse.
L’énergie n’est plus un simple produit disponible facilement. La guerre et le changement climatique ont profondément transformé les règles du jeu sur le marché. Les entreprises doivent repenser leur approvisionnement.
Pendant des années, le mantra de l’économie en matière de politique énergétique a été très simple : l’énergie doit être propre, avantageuse et disponible en quantité suffisante pour que la Suisse reste une place industrielle attrayante et un lieu de travail attirant. Le chemin vers cet objectif est toutefois ardu et, depuis quelque temps, le nombre d’écueils a augmenté sensiblement : le blocage dans la politique européenne menace notre raccordement au réseau électrique européen et rendra les importations d’énergie en hiver plus difficiles. En Suisse, notre production d’électricité hivernale ne se développe que lentement, et notre production d’électricité n’est pas encore suffisante pour respecter l’objectif du zéro émission nette à l’horizon 2050. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous devrions pourtant à peu près doubler la production d’électricité d’ici à 2050. Une tâche herculéenne ! Depuis l’agression de la Russie contre l’Ukraine, les pays voisins ont de plus remodelé les marchés de l’énergie, en prévoyant des subventions et des politiques industrielles en vue d’absorber les turbulences. Dans ces conditions, les discussions techniques et politiques sur l’énergie sont devenues si complexes et incertaines que même le Parlement perd parfois la vue d’ensemble.
De plus en plus d’entreprises se demandent comment réagir à cette situation : l’énergie n’est plus un simple produit que l’on consomme sans y prêter attention. Non. Les entreprises doivent désormais planifier avec le plus grand soin une stratégie non seulement pour les flux financiers et les flux de matières, mais également pour les flux énergétiques.
Deux étapes peuvent s’avérer particulièrement cruciales :
Nous en sommes convaincus : l’entreprise qui considère ses émissions et son approvisionnement énergétique non pas comme des éléments accessoires, mais comme des éléments centraux de son modèle d’affaires s’assure un avantage stratégique.
L’auteur
Alexander Keberle est membre de la direction et responsable du secteur Infrastructure, énergie et environnement d’economiesuisse, la faîtière de l’économie suisse.
Reconnue internationalement, l’initiative Science Based Targets (SBTi) est destinée aux entreprises qui souhaitent s’engager volontairement à atteindre des objectifs climatiques. Ces objectifs scientifiques, appelés « Science Based Targets » (SBT), indiquent le volume de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) que les entreprises devraient atteindre, et le calendrier à adopter, pour que le réchauffement mondial soit limité à 1,5 °C.
Pour de nombreuses entreprises, la gestion des risques lors de l’achat d’énergie a pris une dimension centrale. Les incertitudes concernant les futurs prix de l’énergie créent pour elles une situation très difficile à gérer.
Quelles solutions les entreprises trouvent-elles face à la volatilité des marchés de l’énergie ? En raison des spécificités propres à chaque entreprise, comme la capacité à prendre des risques, la sécurité de la planification, l’approvisionnement énergétique ou le comportement sur le marché, il n’est pas possible de donner une réponse générale et définitive, car les entreprises diffèrent trop entre elles. Le moment auquel l’achat d’énergie s’effectue est devenu plus important que jamais.
L’incertitude règne. Quand faut-il acheter ? En comparaison des prix d’avant-Covid, l’énergie continue de coûter très cher. Sur les marchés de l’énergie, la volatilité est sans limites. Si le potentiel de baisse est important, il est presque infini vers le haut, du moins pendant une brève période. En été 2022, le prix de l’électricité pour le 1er trimestre de 2023 se négociait à plus de 1000 euros le MWh. Sur le marché au comptant, il s’est finalement établi à 145 euros par MWh. Cet écart montre la volatilité élevée avec laquelle les entreprises doivent composer et qui les oblige souvent à adapter leur stratégie d’achat au contexte actuel.
Les acheteurs peuvent contrer cette volatilité. Par exemple en misant sur des produits du marché à terme, achetés en nombreuses mais petites quantités sur une longue période et complétés avec des parts sur le marché au comptant. Sur un marché haussier, les produits à terme, qui s’achètent parfois avec des mois d’avance, ont apporté la preuve de leur utilité. À l’inverse, quelle stratégie faut-il suivre sur un marché tendanciellement en repli ? Pour beaucoup d’entreprises, un marché baissier s’avère plus difficile à gérer qu’un marché haussier. Par exemple, elles achètent aujourd’hui des produits à terme à un prix beaucoup trop élevé, à moins que le marché au comptant ne prenne à nouveau l’ascenseur. L’avenir le dira. Compte tenu du risque de pénurie de gaz et d’électricité, les décisions sont d’autant plus difficiles que les marchés peuvent encore gagner en volatilité l’hiver prochain. Contrairement aux pays qui l’entourent, la Suisse ne fixe aucune limite supérieure de prix et ne prévoit aucune forme de soutien financier.
Certains secteurs peuvent avoir des stratégies consistant à suivre le marché pour minimiser les risques. Des indices montrent que les achats se font plutôt à court terme dans certains secteurs, et plutôt à long terme dans d’autres. Acheter l’énergie à un prix inférieur à celui payé par la concurrence engendre des risques qui peuvent nettement dépasser les chances offertes par une réduction des coûts de production. Une énergie achetée trop cher obligerait de nombreuses entreprises en Suisse d’interrompre l’exploitation de sites entiers. Les coûts en résultant seraient énormes. Dans une telle hypothèse, la Confédération peut accorder un soutien sous la forme d’une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail du fait de la situation sur le marché de l’énergie.
L’auteur
Sven Erne-Bedford est vice-président de l’IGEB et responsable du domaine Energy and Environment du Groupe Model, fabricant de papier et carton. L’IGEB représente les intérêts des branches à forte intensité énergétique.
Pour limiter les risques de pénurie d’énergie l’hiver prochain, SuisseEnergie soutient dès à présent les entreprises qui ont conclu une convention d’objectif par un appui à la mise en œuvre des mesures d’amélioration à la limite de la rentabilité.
Votre entreprise prévoit-elle des projets d’économies d’énergie qui ne sont pas encore mis en œuvre et qui ne sont pas inclus dans votre convention d’objectifs ? De nouveaux appuis financiers intéressants sont maintenant disponibles : SuisseÉnergie couvre de 40 à 50 % des honoraires pour le conseil portant sur la mise en œuvre de mesures d’amélioration à la limite de la rentabilité. Le montant du soutien est plafonné à 8000 ou 16 000 francs par mesure d’amélioration. Le montant est déterminé en fonction du type d’analyse choisi et tient compte des prestations fournies par l’entreprise. Informez-vous auprès de votre conseiller ou conseillère AEnEC pour déterminer si votre entreprise peut bénéficier de cet appui.
ProKilowatt soutient les mesures d’efficience qui réduisent la consommation d’électricité. La contribution d’encouragement, qui peut représenter jusqu’à 30 % des coûts d’investissement, doit inciter à renouveler les installations existantes et à investir dans des technologies à haut rendement.
Soumettez un projet sous webtool.prokw.ch et obtenez une contribution d’encouragement qui peut aller de 20 000 à 2 millions de francs.
Soumettez un grand projet sous webtool.prokw.ch et recevez une contribution d’encouragement pouvant aller de 2 à 6 millions de francs. La date limite de dépôt des demandes est le 14 avril 2023.
Déposez une demande auprès d’un programme.
La date limite de dépôt des demandes est le 2 mai 2023.
En fonction des avantages offerts, vous pouvez décider de soumettre un projet ou de vous inscrire à un programme.
Informations complémentaires
Aux entreprises qui ont élaboré une convention d’objectifs avec l’AEnEC, nous recommandons, pour les petits investissements en matière d’économie d’électricité : renseignez-vous auprès de votre conseiller AEnEC sur le programme d’encouragement EFFICIENCE+.
13.04.2023
Le site magnifique de Caux Palace, au-dessus de Montreux, accueillait ce jeudi 10 novembre le 21e Forum romand de l’AEnEC, sous l’intitulé « Décarbonation : vision et pratique ». Un moment d’échanges fructueux autour de la durabilité, dans un lieu qui en a l’habitude !
Ils étaient plus de 130 représentants et représentes d’entreprises, d’administrations et du monde politique, gestionnaires et techniciens réunis dans un lieu magnifique, atypique, un somptueux balcon sur le Léman et les Alpes. Repris en 1946 par une fondation, avec une centaine de personnalités et de familles, le palace de Caux accueille depuis lors chaque été des rencontres – désormais sous l’intitulé « Caux Forum » – dédiées à la paix, à l’économie éthique et à une vision durable.
Le lieu parfait donc pour échanger avec hauteur et ouverture sur la politique climatique, sur ses objectifs et sur les voies pour les concrétiser – et aussi pour se convaincre qu’emprunter ces voies représente une bonne part de la réponse aux menaces de pénurie d’énergie qui ont fait l’actualité récente.
Aux mots de bienvenue volontaristes de Martin Kernen, responsable romand de l’AEnEC, et de Hans-Ulrich Bigler, conseiller national et vice-président de l’AEnEC, le conseiller national Roger Nordmann a répondu avec fougue en détaillant sa vision d’un avenir décarboné, construit sur les énergies renouvelables – dont le gaz de synthèse, avec une place éminente -, dans un vaste jeu de complémentarité.
Puis Emma Chollet Ramampiandra a évoqué une autre complémentarité, de son point de vue double d’activiste du climat et de doctorante en modélisation écologique : nous sommes tous acteurs et appelés à être actifs dans la crise climatique, et une part de nos actions individuelles devra aller à soutenir ceux d’entre nous qui seront les plus impactés par cette crise, notamment au niveau professionnel – la « résilience solidaire », ainsi qu’elle nomme cet engagement collectif.
Laurent Scacchi, directeur romand d’aee suisse a ensuite passé en revue quelques solutions techniques récentes que les entreprises pourront mettre en œuvre dans les prochaines années pour se décarboner et se libérer davantage des coûts de l’énergie : photovoltaïque vertical, panneaux solaires haute température, pyrolyse, éolienne individuelle… En parfaite continuité, les traditionnels ateliers sont venus ajouter d’autres solutions pour alléger la facture énergétique des entreprises, entre mesures rapides et stratégies plus élaborées, récupération de chaleur en tête. Maryline Dafflon, coordinatrice au sein du programme Swiss Triple Impact, et Vincent Gillet, CEO de Kugler Bimetal SA (Le Lignon, GE), ont pour leur part apporté un éclairage pour s’orienter dans l’offre actuelle de démarches de responsabilité sociale et environnementale et de labels y relatifs. Caux Palace enfin a offert à ses visiteurs d’un jour l’occasion de découvrir ses mesures de décarbonation, en particulier pour le chauffage. Le vaste bâtiment représente une surface totale de 29 500 m2 dont 21 000 sont chauffés… majoritairement au bois. Là où il fallait 300 000 l de mazout par an, il n’en faut plus qu’en appoint. Le palace peut se targuer aujourd’hui d’être climatiquement neutre.
Un encouragement supplémentaire à repenser ses énergies a été un atelier lors duquel la volatilité des prix actuels a été expliquée par Chantal Cavazzana, spécialiste en surveillance des marchés auprès de la Commission fédérale de l’électricité : la complexité des interrelations entre de multiples facteurs ne pouvait laisser indifférent ! Urs Näf, Chef de la Division Industrie de l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE), a ajouté ses recommandations pour se préparer à une éventuelle pénurie issue de cette complexité.
La journée s’est achevée sur un clin d’œil… de lynx. Le cinéaste animalier Laurent Geslin est venu raconter à la fois son itinéraire et le tournage de sept années du documentaire qu’il a consacré à ce beau félin. Celui-ci a réinvesti nos contrées depuis 50 ans, grâce à la ténacité de quelques passionnés à qui on promettait l’échec. La transition vers une nature avec ses prédateurs de jadis avance, cependant ! A nous toutes et tous aujourd’hui de concrétiser avec la même ténacité cette autre transition, la décarbonation, absolument nécessaire à l’environnement global. Ce 21e forum romand de l’AEnEC aura motivé ses participants avec quelques idées et outils supplémentaires.
… la température moyenne en Suisse a augmenté de 2 degrés depuis le début des mesures en 1871.
… les émissions de CO2 par habitant en Suisse ont baissé de 40 % au cours des 30 dernières années – c’est donc possible.
… le 21e forum romand était neutre énergétiquement et climatiquement – mais était-il besoin de le préciser ?
… Caux Palace explique à ses hôtes combien les gestes simples du quotidien concernant l’éclairage, l’usage de l’eau, le recyclage des déchets … ont un impact énorme. « La meilleure économie d’énergie est celle que tout un chacun peut répéter chaque jour. »
… deux kilomètres de tuyauterie traversent les plus de 200 chambres de Caux Palace, interrompus par des vannes de radiateur. Christoph Keller, l’ancien responsable énergie, a réglé ces vannes individuellement pour un parfait débit selon la situation de la pièce, le nombre et la position des fenêtres. « Une température égale est ainsi assurée dans chaque chambres en évitant l’alignement de toute l’installation de chauffage sur la chambre la plus fraîche – ce qui mènerait à surchauffer les autres ».
… à ce jour, l’AEnEC a établi avec des entreprises 24 feuilles de route pour la décarbonation.
… les modérateurs et modératrices de l’AEnEC réalisent chaque semaine une trentaine de consultations en rapport avec la pénurie d’énergie.