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DES SURPLUS, DES DÉCHETS? PENSEZ RÉSEAU !

Prospérant, progressant depuis près de quatre milliards d’années, le vaste réseau du Vivant met en œuvre continuellement quelques principes simples, dont le recyclage continuel des matériaux : ce qui est déchet pour un organisme devient une ressource pour un autre. En s’en inspirant, notre tissu industriel court-il d’autre risque que de progresser, prospérer lui aussi ?

Les cinq étapes ci-après sont prometteuses pour la mise en oeuvre d’une production zéro émission :

Deuxième étape : Usages et réseaux intégrés

La récupération de la chaleur et des rejets thermiques de différents sites de production permet de réduire encore les émissions. Grâce aux réseaux de chaleur de proximité et à distance, il est possible d’utiliser la chaleur et le froid dans plusieurs processus et industries. Au niveau de la mise en oeuvre, les défis à relever concernent la planification territoriale des usages et réseaux intégrés, ainsi que la distance qui sépare les entreprises pouvant être reliées. Les réseaux de chaleur nécessitent en outre une planification à long terme et de lourds investissements que les entreprises qui gèrent les sites reliés ne peuvent pas toutes se permettre financièrement. De plus, les usages et réseaux intégrés génèrent des interdépendances entre les entreprises qu’il faut prendre en compte lors de la planification. Ainsi, un fabricant de casseroles peut par exemple fournir de la chaleur à une administration communale, à un établissement médico-social, à des bâtiments scolaires et à des immeubles privés. Dans la mesure où il faut impérativement des entreprises partenaires mais souvent aussi une infrastructure publique, la sécurité juridique et la fiabilité de la planification, tout comme une bonne entente avec les autorités, sont indispensables.


L’invention de l’agriculture a permis l’essor des premières civilisations. Alors que notre société doit réinventer ses modèles énergétiques, il y a quelque chose de symbolique dans le mutualisme énergétique installé entre deux métiers de la terre dans la campagne de Vernier (GE). L’entreprise Millo & Cie y produit, dans de vastes serres, des fleurs coupées pour le marché régional. « Avant, les 12 000 m2 de nos serres étaient chauffés au moyen du propane », se souvient Charles Millo, qui rêvait d’une autre source d’énergie, renouvelable, locale. Avec son voisin agriculteur Marc Zeller, il a donc imaginé de remplacer le gaz fossile par du biogaz. Du fumier et autres déchets organiques seraient livrés à des bactéries dans un grand digesteur, libérant du méthane avec lequel engendrer chaleur et électricité grâce à une centrale de cogénération. « Notre production a débuté en 2012 à partir des déchets méthanisables de l’exploitation de Marc, puis ceux d’autres fermes des environs et des restes de restauration ».

L’électricité produite, à hauteur de 3,5 GWh par an, est en grande part injectée dans le réseau à la demande – le stockage du méthane permet cette souplesse. Côté chaleur, le biogaz, via eau chaude, assure 70 % des besoins annuels des serres – le propane fait encore l’appoint en hiver, période pic dans la production de fleurs coupées. « Grâce au biogaz, nous chauffons les serres, consommons un courant fait maison et diversifions nos revenus en vendant nos surplus d’électricité », se réjouit Charles Millo. Et la commercialisation, localement, du digestat comme engrais, sans lourde production ni longs transports, contribue de multiples façons à la protection du climat.

Campagne énergique

Convergence d’intérêt comparable à l’autre bout de la Suisse, à Tägerwilen (TG), entre le producteur de jus de fruits et légumes Biotta AG et son voisin maraîcher Rathgeb Bio. Les deux souhaitaient également s’émanciper des combustibles fossiles. « Le soleil assure la majeure partie de l’énergie dans nos serres, mais celles-ci ont besoin d’un surcroît d’énergie pour maintenir les cultures au chaud et au sec, pour qu’elles donnent le meilleur d’elles mêmes », explique Thomas Meier, responsable finances de Rathgeb. Biotta AG était sur le point de rénover son système de chauffage, une discussion s’est amorcée sur les besoins respectifs : à Biotta il faut de la vapeur et à Rathgeb de l’eau chaude. Les deux entreprises exploitent désormais en commun un chauffage alimenté aux copeaux de bois thurgovien, à raison de 5300 m3 l’an. L’eau chaude est acheminée via la conduite du chauffage urbain vers l’installation de stockage de Rathgeb, et la vapeur est injectée dans la chaîne de production de Biotta. Tous les processus de production et le chauffage des bâtiments de Biotta sont désormais 100 % neutres en CO2, et les serres de Rathgeb à 75 % – les 25 % restants sont dans la ligne de mire, à suivre donc …

Bois local encore. Et chocolat …

Une autre chaudière à bois, à Courtelary (BE), dans le Jura bernois, a initié de manière surprenante un réseau encore plus large, avec trois entreprises de secteurs très différents : une menuiserie, une chocolaterie et une cimenterie. On peut reconnaître au chocolatier Camille Bloch SA une forme de « grand chelem » s’agissant des énergies renouvelables. Le photovoltaïque sur ses toits lui apporte 10 % de ses besoins électriques, et le reste est certifié d’origine hydraulique. Son froid est lui aussi principalement d’origine hydraulique, par un pompage concédé dans la rivière voisine, et atmosphérique grâce à l’installation de free cooling sur le toit. Mais surtout, depuis 2016, la chaleur dans les locaux et tout au long des chaînes de production provient pour la plus grande part de bois régional, via un réseau de chauffage à distance communal né du volontarisme d’un entrepreneur de Courtelary. Avec Camille Bloch, La Praye Énergie SA s’est attaché un gros consommateur en toute saison. « Notre consommation de mazout a ainsi passé de 230 000 à 57 000 litres annuellement – la chaudière à mazout demeure pour le secours et l’appoint », précise Jean-Philippe Simon, responsable Infrastructures de Camille Bloch.

Du chocolat au ciment …

Mais il y a plus. Le réseau tissé entre Camille Bloch et La Praye Énergie s’est étendu à Vigier Ciments SA, à Péry-Reuchenette (BE), par l’intermédiaire des … cendres. Olivier Barbery, directeur de la cimenterie, explique : « Pour produire le ciment, de la roche calcaire est broyée et mêlée de marne à 20 % avant combustion à 1450 °C. On obtient ainsi le « clinker », broyé à son tour en ciment. Tant la combustion du mélange calcaire que celle du combustible pour le four libèrent du CO2. La production d’une tonne de clinker dégageant 0.72 t de CO2, moins il y a de calcaire brûlé dans le ciment, plus l’empreinte carbone de celui-ci se réduit ».

Dès 1995, Vigier avait mis sur le marché une première génération de ciments mêlant clinker et calcaire broyé non cuit. « Lors d’une conversation fortuite, relate Olivier Barbery, le promoteur de la chaufferie de Courtelary m’a expliqué l’élimination des cendres : mouillées et déposées en décharge, taxées au poids. Or il y a une meilleure option : les cendres peuvent entrer pour partie dans le mélange menant au clinker. Donc désormais, nous les récupérons ». Toutefois, « les normes prescrivent encore trop de clinker pur dans des usages que des mélanges assureraient parfaitement », s’agace Olivier Barbery. Les normes devraient évoluer. La protection du climat est un défi collectif …

Vigier Ciments améliore son bilan carbone aussi, depuis 1976, en remplaçant progressivement les combustibles fossiles par du bois usagé, des boues, de la poussière de tabac, des graisses et farines animales, des solvants et huiles usées, etc. Là encore ce qui ailleurs est déchets … « Notre chaleur est aujourd’hui assurée à près de 97 % par ces combustibles alternatifs ». Le bilan de tout ça, et de quelques autres mesures d’envergure : sur le site, les émissions de CO2 ont été réduites de 35 % depuis 1990, et 40 % sont visés à l’horizon 2021.

Du sel et des crevettes au chaud

Exploitant elles aussi le monde minéral, les Salines Suisses produisent jusqu’à 600 000 t de sel par an sur trois sites : Riburg (AG), Schweizerhalle (BL) et Bex (VD). Sur les sites argovien et bâlois, le sel naturel se trouve à des profondeurs de 200 à 500 m. De l’extraction par dilution et rinçage résulte une saumure, laquelle, après évaporation de l’eau, laissera du sel pour les routes – soit 50 % de la production des Salines –, pour l’industrie et le bétail ainsi que, bien sûr, pour la table.

Les opérations d’évaporation nécessitent beaucoup de chaleur, qui se récupère continuellement via la vapeur dégagée. Grâce à un dispositif expérimenté dès 1877 à Bex par Antoine-Paul Piccard, arrière-grand-oncle de Bertrand Piccard, la vapeur, comprimée, est renvoyée dans le circuit de chauffage d’un grand évaporateur : 30 mètres de haut à la saline de Riburg. Cette dernière, tout en améliorant sans cesse son efficacité énergétique, n’en dégage pas moins de gros surplus de chaleur résiduelle, « un peu comme une malédiction », sourit François Sandoz, son responsable technique. Une bénédiction en revanche pour un voisin avide de chaleur arrivé en 2018 : le producteur suisse de crevettes SwissShrimp. La chaleur excédentaire de la saline est désormais acheminée via le réseau de chauffage urbain vers la ferme d’élevage et ses bassins, « pour une production de crevettes écologique et durable », se félicite François Sandoz.

Une alternative, réseauter entre soi !

Et lorsqu’on dispose d’excédents de chaleur mais pas de voisin qu’ils pourraient intéresser ? Une entreprise avec plusieurs bâtiments peut évidemment jouer à être son propre voisin. Ce qu’a fait B. Braun Medical SA à Crissier (VD).

Cette entreprise allemande toujours familiale née il y a 180 ans emploie aujourd’hui 63 000 personnes dans le monde, dont 365 à Crissier. Le site vaudois produit des poches de solutions standards pour perfusion, irrigation et remplissage vasculaire, des poches pour la nutrition parentérale, des poches pour solutions à usage urologique … Avec une utilisation d’eau et d’énergie conséquente, B. Braun a choisi en 2018 de récupérer la chaleur des effluents issus de ses procédés – eaux de rinçage, de refroidissement … « Il a fallu organiser un circuit aérien complexe pour contourner un sous-sol déjà encombré de conduites et de câblages entre les bâtiments. Mais ça en valait la peine !», décrit Michel Monti Cavalli, responsable ingénierie et services techniques. « Au cœur du dispositif, une très grosse pompe à chaleur de nouvelle génération assure dans notre circuit de chauffage une température de 75 °C grâce à la chaleur récupérée sur des effluents à 20-35 °C. ». De quoi assurer désormais jusqu’à 97 % des besoins de chauffage des locaux de manière quasi neutre climatiquement et sans aucun risque pour la couche d’ozone grâce au liquide frigorigène innovant de la pompe à chaleur.

B. Braun Medical SA Crissier a ainsi réduit très fortement son recours aux carburants fossiles et par conséquent ses émissions de CO2 dans une même mesure, ce qui autorise un retour de taxe qui contribue à la rentabilité de l’installation.

Depuis près de quatre milliards d’années, le grand réseau du Vivant prospère, progresse avec le succès que l’on sait, sur ce principe que ce qui est déchet pour un organisme est une ressource pour un autre. En s’en inspirant, il semble bien que notre tissu industriel ne court guère d’autre risque que de progresser, prospérer lui aussi !


« Penser réseaux, très largement »

Entretien avec Olivier Andres,

CEO Steen Sustainable Energy SA, Lausanne, ancien directeur général de l’Office canatonal de l’énergie de l’État de Genève

Rien de très surprenant à parler « réseaux » dans un contexte où l’on se préoccupe d’énergie, et pourtant … Il est plus que temps de considérer les réseaux de manière bien plus large – et en même temps, sans paradoxe, bien plus locale – que sous la seule forme des grandes infrastructures de distribution traditionnelles.

Monsieur Andres, quand on parle réseau aujourd’hui, que devrait-on imaginer, en particulier pour les entreprises ?

La connection entre usine d’incinération et habitations pour le chauffage est devenue banale. Mais toute entreprise avec des excédents thermiques ou des déchets valorisables devrait pouvoir les transférer à une autre entité qui en aurait l’usage : entreprise, collectivité, habitat … Le potentiel suisse pour de telles mises en réseaux a été analysé dès 20101 et la Confédération l’a confirmé dans un rapport en 20182. Mais les investissements tardent et ce potentiel n’est pas exploité. Trop d’entreprises restent dans l’individuel et les énergies fossiles.

Toutefois, la crise climatique et la législation relative au CO2, moins abstraites que la question énergétique, suscitent une prise de conscience, nous le constatons en tant que bureau conseil. Des collectivités marquent de l’intérêt pour un concept territorial inventoriant leurs ressources locales en énergies, matériaux, déchets … et les possibilités de développer et mutualiser celles-ci. Les entreprises ont leur place dans ce concept, et cette circulation de ressources peut leur apporter des revenus additionnels.

Quels freins retardent le « penser réseau » ?

Ils ne sont pas techniques. A l’ère du numérique, des technologies puissantes permettent l’usage et l’échange collectifs, rationnalisés de flux d’énergie, électrique ou thermique, et de matériaux.

Cette transition profitable à l’environnement et à l’économie est toutefois insuffisamment soutenue par un acteur incontournable, la finance. Il y a moins de risques à financer un quartier d’habitation que des infrastructures pour mutualiser les rejets et déchets d’une zone industrielle dont une entreprise-maillon peut fermer inopinément et ainsi affaiblir ou interrompre un réseau d’échange.

L’Etat pourrait là tenir un rôle : rassurer en cautionnant les investissements des entreprises ou d’investisseurs extérieurs. Sans se priver de voir grand : plus les entreprises concernées sur une zone seraient nombreuses, plus les risques diminueraient, mutualisés eux aussi.

Quid des freins dans cet autre réseau, parallèle, des décisions législatives et de l’examen administratif des projets ?

Au niveau politique, on m’a souvent expliqué qu’on ne dirige pas un Etat comme une entreprise, les décisions et les actes ne peuvent y être aussi rapides, effet d’alternance. Pourtant, l’urgence sanitaire de 2020 a été abordée vite avec des moyens qui permettraient de répondre à l’urgence climatique. Celle-ci aura bien plus d’impact, mais c’est à plus long terme, aussi la traite-ton plus légèrement. Quant à l’examen administratif des projets, il fonctionne par petites décisions successives qui en occultent la globalité et l’intérêt général. On s’accordera pour dire qu’une énergie renouvelable à partir de déchets locaux, favorable au climat, est un pas dans la bonne direction. Mais que de pas pour ce pas ! Longues démarches fragmentées, oppositions, révisions … Le réseau décisionnel devra être rendu bien plus fluide et à vue plus globale si l’on veut une transition de même.

Sources mentionnées :
¹ « Le chauffage à distance en Suisse – Stratégie ASCAD », Livre blanc de l’Association suisse du chauffage à distance, bureau Eicher + Pauli, 2014
² « Guide chauffage à distance / froid à distance, rapport final»-suisseenergie, 2018 Toutes deux disponibles sur www.fernwaerme-schweiz.ch

INFORMATIONS

La réussite exemplaire de 26 paysans dans l’amélioration de l’efficacité énergétique de leurs poulaillers montre comment une belle dynamique de groupe aura fait économiser du CO2, des kilowattheures, et bien plus encore.

Les cinq étapes ci-après sont prometteuses pour la mise en oeuvre d’une production zéro émission :

PREMIÈRE ÉTAPE : AMÉLIORATIONS DE LA PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE

Il reste un important potentiel à exploiter dans les processus pour réduire les émissions de CO2, par la mise en oeuvre des mesures d’amélioration de la performance énergétique. Ces mesures consistent notamment à optimiser les exploitations, recourir à de meilleures technologies et à l’innovation, récupérer la chaleur des procédés, et utiliser des rejets thermiques selon la méthode du pincement. Pour beaucoup d’entreprises, les mesures d’amélioration de l’efficacité qui visent à rendre la chaleur des procédés et les processus plus respectueux de l’environnement sont aussi les plus rentables.


À première vue, un poulailler n’offre pas une grande complexité du point de vue de la technique énergétique : pour l’exploiter, cette technique se limite à une halle, une enveloppe de bâtiment, un chauffage et un éclairage. Mais un poulailler consomme du chauffage et de l’électricité en permanence. Et lorsque l’on améliore la performance énergétique, il faut naturellement respecter les besoins des animaux et leur bien-être.

EN QUÊTE DE SOLUTION

Le savoir-faire, les ressources en personnel ou l’incitation financière, qui passe par le remboursement de la taxe sur le CO2, font souvent défaut pour améliorer le bilan énergétique d’une petite exploitation. On pourrait donc penser que l’histoire s’arrête là. Nullement, car Markus Zürcher, à la fois paysan, employé de commerce et économiste d’entreprise, n’a pour sa part pas voulu en rester là. En 2012, il s’est mis en quête d’une solution pour son exploitation agricole de Schönholzerswilen dans le canton de Thurgovie. Il allait créer un projet qui servirait de modèle pour tout son secteur.

Le projet a été mis au point grâce aux échanges que le paysan a eu avec Stefan Krummenacher, conseiller AEnEC et membre de la direction de l’AEnEC : si à elle seule, son exploitation était trop petite pour obtenir le remboursement de la taxe sur le CO2, en se joignant à d’autres, elle aurait la taille nécessaire. Une autre question se posait : des mesures d’amélioration et des modèles conçus pour de grandes exploitations seraient-ils pertinents à des dimensions plus réduites ?

QUAND L’UNION FAIT LA FORCE

Pour le savoir, Markus Zürcher s’est associé à Erich Jungo, un paysan et ami de Guin dans le canton de Fribourg. Car il était clair que pour rassembler suffisamment d’éleveurs de volaille, il fallait entretenir de bonnes relations et viser la Suisse entière. Né à l’été 2014, le groupe d’éleveurs de volaille « Geflügelmastbetriebe Dritter Kraft (GMDK) » rassemble 26 exploitations des quatre coins du pays – et plus particulièrement de l’est du pays et de la Suisse romande – qui ont conclu ensemble une convention d’objectifs avec la Confédération dans le cadre du modèle Énergie de l’AEnEC. Les bases de l’amélioration du bilan énergétique de leurs poulaillers sont jetées. Et la réussite est au rendez-vous : depuis lors, les paysans ont réduit leurs émissions de CO2 de 21,8 %, soit de 276 tonnes, par rapport à l’année de départ. Dans le même temps, ils ont amélioré leur performance énergétique de 22 %. Des économies, relate M. Krummenacher, qui sont le fruit direct de la mise en œuvre des mesures d’amélioration des différentes exploitations. Les poulaillers recèlent parfois des idées en or.

CANONS À GAZ ET CERCLES VICIEUX ÉNERGÉTIQUES

Même si un élevage de volaille ne paraît pas présenter une grande complexité du point de vue de la technique énergétique, le climat qui y règne est une question délicate, car les volatiles ont besoin de suffisamment de chaleur sans trop d’humidité. Il faut donc que les aspects de la technique énergétique et de la thermodynamique, autrement dit le chauffage et la ventilation, soient bien maîtrisés, ce qui demande doigté et finesse. Lorsque Markus Zürcher construit un poulailler dans sa ferme thurgovienne de Schönholzerswilen en 2002, la chaleur est produite par chauffage soufflant au gaz, communément appelé canon à air chaud, comme il était alors de rigueur dans son secteur. « C’est simple et c’est un investissement avantageux », résume le paysan. La chaleur est produite par la combustion du gaz et elle est soufflée dans une conduite qui traverse le poulailler. Toutefois, en plus de l’air chaud, les canons à gaz habituels diffusent aussi dans le poulailler des rejets gazeux issus de la combustion, du CO2 en l’occurrence. « Le taux de CO2 doit rester faible, à la fois pour le bien-être des animaux et pour l’exploitation », explique Markus Zürcher. Pour faire sortir le CO2 et l’humidité due au propane, il faut régulièrement ventiler. Selon les conditions météorologiques, il en résulte une diminution de la température et une augmentation de l’humidité, d’où la nécessité de chauffer à nouveau. « Nous sommes dans un cercle vicieux », décrit-il.

DE L’IMPORTANCE DE L’ISOLATION

Plusieurs approches permettent de sortir de ce cercle vicieux thermodynamique. Simple et efficace, l’une d’entre elles consiste à améliorer l’efficacité énergétique de l’enveloppe du bâtiment : « Nous avions construit le poulailler avec un toit d’une épaisseur de 60 millimètres. Cela ne serait plus autorisé aujourd’hui », raconte Markus Zürcher. La première mesure d’amélioration de la performance énergétique a donc consisté à changer toutes les fenêtres, à doubler l’épaisseur de l’isolation du toit en la faisant passer à 120 millimètres et à appliquer soigneusement de la mousse dans la toiture pour la rendre imperméable à l’air. « Avec cette première mesure, nous sommes parvenus à réduire les besoins en énergie de plus de 20 %, car la chaleur ne s’échappait plus et l’humidité était ralentie. » La réduction en terme de CO2 se montait à 15 tonnes par an en moyenne. Mais les canons à gaz continuaient de fonctionner, et de fonctionner sans interruption durant la saison froide. Il fallait donc améliorer la consommation de gaz. Le chauffage au sol s’est alors imposé : il chauffait là où la chaleur était nécessaire, c’est-à-dire au sol, là où vivent les animaux. La puissance des équipements a été presque divisée par deux. Cette mesure est donc performante du point de vue énergétique, et elle préserve le porte-monnaie. Mais elle apporte plus encore, car « les poules sont comme nous, elles n’aiment pas avoir froid aux pattes », commente Markus Zürcher.

UN CHOIX DOUBLEMENT UTILE

Confronté à un chauffage à la fois coûteux et émetteur de CO2, Erich Jungo souhaitait lui aussi une meilleure solution pour son exploitation de Guin. Deux ans déjà après avoir construit un poulailler, il a investi dans un échangeur de chaleur. Ce choix est doublement utile. D’abord, comme l’air extérieur neuf est préchauffé, dans l’échangeur de chaleur, par l’air chaud qui sort du poulailler, la production de chaleur nécessite moins d’énergie, d’où une réduction des émissions de CO2. Ensuite, l’air qui passe par l’échangeur de chaleur contient moins d’humidité. « Moins d’humidité, autrement dit un climat intérieur plus sec, demande moins d’extraction d’humidité et donc moins de chauffage », détaille Erich Jungo. Mais il ne s’est pas contenté de sortir le système de chauffage de son cercle vicieux et de réduire les émissions de CO2 : la même année, il a inauguré un chauffage à plaquettes de bois et cessé d’utiliser des combustibles fossiles dans sa ferme. « Le chauffage à plaquettes de bois ne génère ni CO2 ni humidité. Nous avons moins besoin de ventiler, nous économisons encore de l’électricité », relate le paysan. Il souligne avoir pris cette mesure d’amélioration pour traduire dans les faits sa vision d’une production locale et écologique. Si elle n’est pas rentable, pour l’heure en tout cas, cette production d’électricité locale compte pour lui. Erich Jungo produit aujourd’hui tous ses agents énergétiques sur son exploitation. Son poulailler et le bâtiment qui abrite le chauffage à plaquettes de bois sont équipés d’installations photovoltaïques. Chez Markus Zürcher, un bâtiment est déjà habillé de modules solaires et le poulailler suivra dans les prochaines années.

EURÊKA

Toujours au sujet de l’électricité, les deux paysans savent bien que la technique LED est énergétiquement très efficace. Toutefois, un rayonnement lumineux mal choisi peut être néfaste pour les animaux. « Si la lumière ne leur convient pas, les poules sont nerveuses », explique M. Jungo. Un des membres du groupe GMDK a d’ailleurs vécu cette mésaventure : « Il a dû démonter les lampes qu’il avait installées. » Le groupe a des échanges passionnés sur ce sujet. Erich Jungo, qui a franchi le pas des lampes LED, élargit la perspective : « Les échecs sont aussi des sources d’enseignements précieux. » Les échanges sont particulièrement utiles pour les petites exploitations, qui évitent ainsi notamment des investissements malheureux.

UNE BONNE DYNAMIQUE

Un groupe se construit par les échanges. Une fois par an, les paysans se retrouvent pour leur assemblée générale, à mi-chemin entre l’est du pays et la Suisse romande, dans le canton d’Argovie. Vous avez dit assemblée générale ? Oui, car pour faciliter encore son administration et les processus en son sein, le groupe GMDK a créé en 2017 une association éponyme. Sous la houlette de leur président, Erich Jungo, de Markus Zürcher et de leur conseiller AEnEC, Stefan Krummenacher, les paysans parlent de leurs nouveaux projets, de l’évolution de la législation et des possibilités de financement. La discussion est nourrie et constructive. « Nous mettons à la disposition de tous les membres ce transfert de connaissances très précieux », témoigne M. Jungo. Mais Erich Jungo et Markus Zürcher le martèlent, chaque membre est libre de décider de la mise en œuvre de mesures d’amélioration : il n’est pas question d’avoir des cobayes qui testeraient de nouvelles mesures d’amélioration. « Ce n’est d’ailleurs pas du tout nécessaire » note M. Zürcher, car une mesure d’amélioration est toujours en cours de mise en œuvre dans l’une ou l’autre exploitation, sans rien dire des idées et des approches que chacun développe, et qui sont susceptibles d’être utiles à tous. Elles seront débattues lors de l’AG, avec l’avis chaque fois très apprécié de Stefan Krummenacher, le spécialiste en énergie de l’AEnEC. Et comment se passent ces réunions en deux langues ? Fort bien ma foi, et le réseau d’envergure nationale représente même un bel atout. « Malgré la barrière de la langue, nous formons un tout », juge Erich Jungo. Et s’il devait y avoir des incompréhensions, le président se glisse tout simplement dans le rôle de l’interprète. Markus Zürcher se félicite lui aussi : « La dynamique qui s’est installée chez nous est vraiment très agréable. »

« NOUS ÉCONOMISONS DU CO2 ET DES KWH, MAIS PLUS ENCORE »

En plus de la réduction des émissions de CO2 et l’amélioration de l’efficacité énergétique, le travail de groupe offre d’autres avantages. Les échanges réguliers dans l’association aident à prendre du recul par rapport à sa propre exploitation. « Nous nous occupons d’énergie et de diverses mesures d’amélioration, nous gagnons en durabilité et nous économisons de l’argent : voilà ce qui nous lie », résume le président. L’association incite aussi à réaliser l’un ou l’autre projet auquel un membre ne s’attaquerait pas seul. Il en est convaincu : « Ces dynamiques de groupe sont à l’évidence une raison pour laquelle nos chiffres sont si bons ». Le remboursement de la taxe sur le CO2 offre une motivation supplémentaire pour la mise en œuvre de mesures. Il se monte à 80 000 francs en moyenne annuelle pour le groupe, un montant réinvesti dans l’amélioration du bilan énergétique. Et comment est-il réparti ? « Dans l’esprit de solidarité du groupe, nous n’avons pas voulu d’une clé de répartition avec une provision. Cela donnerait un faux signal », résume Markus Zürcher. Chacun touche donc un même forfait, car les « petits » consommateurs comptent autant que les « grands », et le reste est distribué en fonction de la surface des poulaillers. Erich Jungo dresse un bilan général : « En améliorant ensemble notre efficacité, nous agissons de manière durable pour la région, nous restons concurrentiels, nous améliorons notre image et nous renforçons les échanges bilatéraux entre personnes qui partagent une même vision. » Le groupe GMDK offre donc bien plus que des réductions de CO2 et de kilowattheures.


« PRÊTS À EMPRUNTER DE NOUVELLES VOIES »

Entretien avec Stefan Krummenacher, Membre de la direction de l’AEnEC et chef de secteur

MONSIEUR KRUMMENACHER, DEPUIS SA CRÉATION, VOUS CONSEILLEZ ET ACCOMPAGNEZ UN GROUPE D’ÉLEVEURS DE VOLAILLE, LE GMDK (« GEFLÜGELMASTBETRIEBE DRITTER KRAFT »). CE GROUPE A DÉVELOPPÉ UNE BELLE DYNAMIQUE. QUELLE EST VOTRE TÂCHE EN TANT QUE MODÉRATEUR DU GROUPE ?

Adrian Zimmermann et moi-même tentons d’amorcer un processus en comparant des données : nous comparons par exemple un poulailler selon qu’il est équipé ou non de récupération de chaleur. Lors de leur réunion annuelle, qui prend la forme d’une assemblée générale, nous montrons ce que les paysans peuvent gagner par la mise en œuvre de mesures d’amélioration. Nous observons aussi le marché : qu’est-ce qui fonctionne par exemple dans une étable destinée au bétail ? Est-ce que l’on peut s’en inspirer ? Nous regardons également ce qui se passe dans d’autres secteurs. Lorsque nous avons de nouvelles idées ou de nouvelles approches, nous les amenons à l’assemblée générale. L’expérience montre que lorsque les conditions sont réunies, beaucoup de choses qui fonctionnent dans des exploitations de plutôt grande taille fonctionnent également dans de petites exploitations.

THÉORIQUEMENT, L’ANALYSE DU PINCEMENT PINCH A UN RÔLE À JOUER DANS LES MESURES D’AMÉLIORATION DE L’EFFICACITÉ. EST-CE UNE OPTION VALABLE POUR DES POULAILLERS ?

Non, car cela reviendrait à employer un canon pour tirer sur des mouches. L’analyse du pincement intervient lorsque les flux d’énergie sont complexes, ce qui est en général plutôt le cas des installations de grande taille, comme des séchoirs à herbe. Mais le groupe paysan du modèle Énergie spécialisé dans les séchoirs à herbe et le groupe des fromageries (Fromarte) nous ont aidé à lancer l’idée du groupe GMDK.

POUR QUELLE RAISON LE GROUPE GMDK EST-IL UN MODÈLE DE RÉUSSITE ?

Pour moi, il y a trois raisons. D’abord, les entreprises en retirent un bénéfice. Les réductions des émissions de CO2 sont considérables et les remboursements sont tout à fait réjouissants. Les paysans les réinvestissent d’ailleurs souvent dans de nouvelles mesures d’amélioration, ce qui renforce leur compétitivité. La deuxième raison est l’aspect social : se retrouver chaque année lors de l’assemblée générale offre des échanges réguliers d’expérience, permet aux uns et aux autres de se motiver mutuellement et amène la discussion sur les sujets énergétiques. Les échanges d’expérience montrent très bien l’avantage de l’intelligence de groupe par rapport à l’intelligence individuelle : les participants sont très motivés pour emprunter de nouvelles voies. Enfin, la troisième raison, c’est que cela profite à tous : aux paysans, à l’AEnEC et à l’environnement. C’est la quintessence de l’AEnEC !

CE MODÈLE PEUT-IL ÊTRE ÉTENDU ?

Tout à fait ! Il faut toutefois que certaines conditions soient réunies. Les exploitations des membres du groupe doivent présenter une intensité énergétique et des structures relativement homogènes. Il faut aussi que le groupe soit accueilli dans une structure stable.

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