Fenaco, la plus grande coopérative agricole de Suisse, recherche des solutions d’avenir aussi bien pour le carburant que pour les transports : avec l’AEnEC, elle vise un modèle d’affaires respectueux du climat. Nous les suivons dans ce périple.
Aujourd’hui, l’hydrogène demande à être plus facilement disponible : dans le cadre d’un projet pilote, Daniel Bischof (à droite), président de la direction d’AGROLA SA, et Otti Häfliger (à gauche), président directeur général de TRAVECO Transporte SA, font avancer la cause de l’hydrogène.
L’hydrogène est-il le carburant du futur ? Le projet pionnier de station-service et de poids lourds à hydrogène constitue un maillon essentiel pour le développement d’un réseau commercial de l’hydrogène vert en Suisse.
Les innovations nous relient à l’avenir. Il y a cent cinquante ans, contraints par la révolution industrielle de se réorganiser et de changer leur manière de voir, les paysans suisses s’unissent dans des coopératives agricoles qui reposent sur le principe de l’entraide économique. Fenaco, la plus grande coopérative agricole de Suisse, agit aujourd’hui encore selon ce principe fondateur. Son but social consiste à apporter aux exploitants et exploitantes agricoles suisses un appui dans le développement économique de leur exploitation. Créée en 1993, fenaco chapeaute plus de 80 sociétés filiales, au nombre desquelles figurent, en plus de producteurs d’aliments pour bétail, le producteur de jus de pommes Ramseier, le détaillant Volg, le transporteur TRAVECO, le fournisseur de services énergétiques AGROLA, et bien sûr les commerces LANDI.
Lorsque l’on rassemble plus de 80 entreprises totalisant 11 000 collaborateurs et collaboratrices qui travaillent sur 230 sites, il faut bien sûr savoir saisir l’air du temps, mais il faut aussi lancer soi-même des innovations. Face au défi du changement climatique, et à la solution à long terme qu’est la décarbonation, des mesures d’amélioration créatives s’imposent. Ces mesures, fenaco et ses filiales les ont convenues avec la Confédération et les cantons, avec l’appui de l’AEnEC, dans quatre conventions d’objectifs qui totalisent 225 unités de saisie actives. Un grand nombre de ces mesures consistent à procéder à des optimisations énergétiques, d’autres à investir à la fois dans des technologies liées aux énergies renouvelables et dans les carburants écologiques.
Face à un objectif aussi ambitieux que la neutralité carbone à l’horizon 2050, il est important que le calendrier applicable à ces mesures soit large, souligne Erich Kalbermatter, conseiller AEnEC et membre de la Direction de l’AEnEC. Anita Schwegler partage cet avis. Avec son équipe, non seulement la responsable de l’unité de prestations « Développement durable et Environnement » de fenaco élabore et coordonne la gestion complète du CO2 tout en s’occupant du rapport sur la durabilité, mais elle conseille aussi le groupe dans les domaines de l’efficacité énergétique et de la neutralité en CO2. Elle vise notamment à multiplier les connaissances et à donner des impulsions de manière centralisée dans le groupe. Avec son équipe de sept personnes, elle a donc mis sur pied un programme de formation innovant destiné à tous les niveaux hiérarchiques et à divers secteurs. À l’heure actuelle, un demi-millier de collaborateurs et collaboratrices ont suivi ce cours portant sur l’efficacité énergétique.
Que pouvons-nous faire mieux ? Que pouvons-nous faire autrement ? Voilà les questions auxquelles Anita Schwegler et son équipe tentent de répondre. « Nous disposons notamment d’un radar qui sonde l’avenir pour repérer les tendances et les innovations, et pour prendre l’air du temps », raconte Anita Schwegler. Le dernier rapport de durabilité du groupe agricole met à l’honneur l’efficacité énergétique, une production agricole durable et la recherche et l’innovation. Son groupe spécialisé « Protection du climat et Agriculture » a notamment développé un fourrage qui limite la production de méthane ; autre exemple, dans toutes les exploitations de fenaco, un calcul des coûts énergétiques durant la durée de vie doit désormais être effectué pour tout nouvel achat ou investissement de remplacement.
Ces mesures d’amélioration sont le fruit direct de la stratégie sur le développement durable que fenaco a définie avec 14 objectifs dans les trois dimensions économique, sociale et écologique du développement durable. Les décisions commerciales de fenaco s’appuient notamment sur ces objectifs. Y figurent par exemple l’accroissement du taux d’encadrement féminin, la réduction du gaspillage alimentaire dans les filiales ou encore la réduction des émissions de CO2. Les collaborateurs et collaboratrices sont aussi formés au développement durable dans le cadre du programme « Prêt pour l’avenir ». Anita Schwegler relève que dans ce domaine, le dialogue est essentiel et qu’il est particulièrement important que les différents éléments puissent être mesurés. Il faut notamment que les objectifs soient assortis de délais et qu’il soit possible de mesurer leur atteinte. Un véritable dialogue dépassant les échelons hiérarchiques permet lui aussi que des potentiels d’optimisation soient mis en évidence partout, sans préjugés.
Il y a de quoi faire : « L’agriculture en général et les exploitations de production en particulier présentent une forte intensité énergétique », explique Erich Kalbermatter. Les propos du conseiller AEnEC sont particulièrement élogieux concernant les efforts déployés par fenaco pour progresser, notamment en ce qui concerne les transports et l’énergie.
Nous voulons faire face rapidement à l’évolution des tendances dans les transports.
Daniel Bischof, président de la direction d’AGROLA et chef du département Énergie de fenaco
« Dans le temps, nous avions le cheval, et le cheval son avoine. Ensuite, le diesel et la voiture sont arrivés », sourit Daniel Bischof, président de la direction d’AGROLA, l’une des sociétés filiales de fenaco. Et aujourd’hui ? Voilà belle lurette que les chevaux ont été remplacés par des poids lourds qui roulent au diesel. Par essence, les transports sont dynamiques, et les coulisses de TRAVECO, l’entreprise logistique de fenaco, en donnent un bel exemple.
TRAVECO est l’une des plus grosses entreprises logistiques de Suisse. Elle transporte annuellement trois millions de tonnes de marchandises en tout genre, allant des aliments et boissons aux combustibles et carburants en passant par les produits en vrac. Cette filiale de la société coopérative fenaco est spécialiste des transports liés à la chaîne de production agricole. Un demi-millier de conducteurs et conductrices se relaient jour et nuit pour conduire les 350 emblématiques camions verts. Ensemble, ils parcourent chaque année 20 millions de kilomètres, pour leurs clients du groupe fenaco-LANDI mais aussi pour des tiers. La société propose également des services de logistique classique.
Pour Otti Häfliger, son président directeur général, TRAVECO s’est toujours préoccupée du développement durable : « Pour nous, il est très important que nous utilisions aussi peu d’énergie que possible pour transporter les marchandises. » L’entreprise investit donc dans des camions de dernière génération, actuellement avec les normes antipollution Euro 6. La numérisation des ordres de transport participe de la même vision de développement durable ; désormais, l’ordre est transmis au chauffeur directement par smartphone. De plus, un logiciel spécialisé évalue aussi à quel point les chauffeurs conduisent de manière économique. Otti Häfliger explique : « Nous avons décidé que d’ici 2050, nos déplacements seront neutres en CO2 pour toute notre flotte. Bien sûr, cela ne sera possible qu’au moyen d’énergies alternatives, comme l’hydrogène par exemple. »
Le directeur ne cache pas sa fierté : dans son écurie, on trouve sa dernière acquisition, un étalon rare, l’un des premiers poids lourds à hydrogène produit en série, un Hyundai à deux essieux qui roule pour TRAVECO depuis 2020. Il assure la livraison des produits frais dans les points de vente Volg et TopShop du nord-ouest de la Suisse et de la Suisse centrale.
De la même manière qu’il faut nourrir son cheval à l’avoine, AGROLA livre du carburant aux quatre coins du pays. Ses 400 sites font d’elle la deuxième société de stations-services en Suisse. Il n’est donc guère surprenant que pour une majorité de gens, ce nom évoque d’abord le rituel du plein d’essence.
Le négoce de carburants et de combustibles représente une large part des activités de l’entreprise : essence, diesel (bio), mazout et pellets sont vendus dans tout le pays. AGROLA joue toutefois aussi un rôle crucial dans l’exploitation de sources d’énergie alternatives. Cette filiale de fenaco sise à Winterthour livre aussi de l’électricité ; elle construit des installations photovoltaïques et ses postes de recharge pour les véhicules électriques ou à hydrogène sont autant de solutions au service d’une mobilité durable. Depuis 2017, AGROLA fournit de l’électricité à l’ensemble du groupe fenaco-LANDI, et depuis 2019, elle livre également des tiers. Rien qu’en 2020, ses installations photovoltaïques ont produit 10,5 millions kWh d’énergie renouvelable. « Nous sommes une entreprise innovante et ambitieuse », affirme Daniel Bischof. Ce dynamisme se traduit dans tous les domaines, y compris pour la mobilité.
À Zofingue, dans le canton d’Argovie, on peut d’ores et déjà faire le plein d’avoine 2.0 : depuis l’automne 2020, on y trouve la première station du pays dans laquelle on fait le plein soit de carburant fossile, soit d’électricité, soit d’hydrogène. On peut y faire le plein de manière parfaitement durable : les panneaux solaires installés sur le toit produisent l’électricité pour la station de recharge rapide destinée aux véhicules électriques et la pompe d’où jaillissent les carburants fossiles crache aussi un hydrogène vert, autrement dit un hydrogène produit à l’énergie hydraulique. Cet apparent détail n’en est pas un, comme le souligne Daniel Bischof, car seul l’hydrogène vert est produit intégralement à partir d’énergie renouvelable, ce qui en fait un produit neutre en CO2. Un beau jalon est donc maintenant posé sur la voie des déplacements sans émissions.
Alors que le monde entier ne parle que d’électricité pour les déplacements, TRAVECO et AGROLA se tournent vers l’hydrogène. Voilà de quoi susciter des interrogations. Pour Daniel Bischof, ces deux technologies ne s’excluent pas l’une l’autre, et c’est bien ainsi que travaillent AGROLA et LANDI, liées par un partenariat : « Pour nous, il était acquis d’emblée – avec LANDI – que nous allions proposer le carburant alternatif qu’est l’hydrogène en plus des postes de recharge pour l’électricité. L’hydrogène remplit toutes les conditions pour offrir une réduction durable des émissions de CO2 dues au trafic routier et contribuer ainsi à la transition énergétique. » Les véhicules propulsés par l’hydrogène rejettent en effet uniquement un peu de vapeur d’eau. Tant que l’hydrogène provient exclusivement de sources d’énergie renouvelables, comme c’est le cas pour AGROLA, il représente une solution alternative respectueuse de l’environnement pour les trajets sur route. Otti Häfliger le confirme également : « Personnellement, je suis convaincu que l’hydrogène sera un agent énergétique important dans le futur. »
À ses yeux, un facteur limitatif de son développement est l’aspect économique : à eux seuls, les frais d’énergie, qui se montent à presque 90 francs les 100 kilomètres, sont deux fois plus élevés que pour les carburants fossiles. Une autre difficulté tient au nombre encore limité de véhicules et de stations-service à hydrogène. Dans ce domaine, l’offre détermine la demande, affirment Erich Kalbermatter et Daniel Bischof. Il faut des transporteurs comme TRAVECO, qui ont le courage d’investir dans les nouvelles technologies d’une part, et des investisseurs pour les stations-service d’autre part. Membres fondateurs de l’association « Mobilité H2 Suisse », fenaco et AGROLA participent activement au développement de l’infrastructure nécessaire au trafic routier propulsé à l’hydrogène, pour améliorer la couverture du territoire. Ces efforts sont actuellement déployés sans fonds publics.
Si des thèmes comme la crise climatique ou le tournant énergétique amènent naturellement une nouvelle mobilisation, pour Erich Kalbermatter, le jalon qui vient d’être posé témoigne surtout d’un esprit d’innovation : « Cela montre que la société coopérative fenaco est prête à s’engager dans une voie nouvelle dont l’issue n’est pas encore connue. » Ce courage a été récompensé. En 2021, l’Office fédéral de l’énergie a décerné son Watt d’Or 2021 au projet intitulé « Un cycle de l’hydrogène renouvelable pour le trafic de poids lourds ». « C’est une reconnaissance pour tout notre groupe », dit Daniel Bischof, « et nous en sommes fiers. Pour AGROLA et naturellement pour TRAVECO, dont les livraisons dans les magasins Volg sont neutres en CO2 avec ces camions. La boucle est ainsi bouclée. »
Cette visite des coulisses de TRAVECO et d’AGROLA, ces deux filiales de fenaco, montrent que le développement durable revêt un intérêt fondamental pour la coopérative agricole. « Sans développement durable, à un moment ou un autre, nous n’aurons plus les bases nécessaires pour disposer de ressources naturelles saines comme l’air, les sols et l’eau », témoigne Anita Schwegler, responsable de l’unité de prestations « Développement durable et Environnement ». « Et sans milieu naturel en bonne santé, il n’est pas d’économie durable. » Fenaco s’est donc fixé pour objectif de faire rimer écologie et économie grâce à des innovations qui nous relient à l’avenir. Au moins pour les 150 prochaines années.
28.08.2024
Prospérant, progressant depuis près de quatre milliards d’années, le vaste réseau du Vivant met en œuvre continuellement quelques principes simples, dont le recyclage continuel des matériaux : ce qui est déchet pour un organisme devient une ressource pour un autre. En s’en inspirant, notre tissu industriel court-il d’autre risque que de progresser, prospérer lui aussi ?
Les cinq étapes ci-après sont prometteuses pour la mise en oeuvre d’une production zéro émission :
La récupération de la chaleur et des rejets thermiques de différents sites de production permet de réduire encore les émissions. Grâce aux réseaux de chaleur de proximité et à distance, il est possible d’utiliser la chaleur et le froid dans plusieurs processus et industries. Au niveau de la mise en oeuvre, les défis à relever concernent la planification territoriale des usages et réseaux intégrés, ainsi que la distance qui sépare les entreprises pouvant être reliées. Les réseaux de chaleur nécessitent en outre une planification à long terme et de lourds investissements que les entreprises qui gèrent les sites reliés ne peuvent pas toutes se permettre financièrement. De plus, les usages et réseaux intégrés génèrent des interdépendances entre les entreprises qu’il faut prendre en compte lors de la planification. Ainsi, un fabricant de casseroles peut par exemple fournir de la chaleur à une administration communale, à un établissement médico-social, à des bâtiments scolaires et à des immeubles privés. Dans la mesure où il faut impérativement des entreprises partenaires mais souvent aussi une infrastructure publique, la sécurité juridique et la fiabilité de la planification, tout comme une bonne entente avec les autorités, sont indispensables.
L’invention de l’agriculture a permis l’essor des premières civilisations. Alors que notre société doit réinventer ses modèles énergétiques, il y a quelque chose de symbolique dans le mutualisme énergétique installé entre deux métiers de la terre dans la campagne de Vernier (GE). L’entreprise Millo & Cie y produit, dans de vastes serres, des fleurs coupées pour le marché régional. « Avant, les 12 000 m2 de nos serres étaient chauffés au moyen du propane », se souvient Charles Millo, qui rêvait d’une autre source d’énergie, renouvelable, locale. Avec son voisin agriculteur Marc Zeller, il a donc imaginé de remplacer le gaz fossile par du biogaz. Du fumier et autres déchets organiques seraient livrés à des bactéries dans un grand digesteur, libérant du méthane avec lequel engendrer chaleur et électricité grâce à une centrale de cogénération. « Notre production a débuté en 2012 à partir des déchets méthanisables de l’exploitation de Marc, puis ceux d’autres fermes des environs et des restes de restauration ».
L’électricité produite, à hauteur de 3,5 GWh par an, est en grande part injectée dans le réseau à la demande – le stockage du méthane permet cette souplesse. Côté chaleur, le biogaz, via eau chaude, assure 70 % des besoins annuels des serres – le propane fait encore l’appoint en hiver, période pic dans la production de fleurs coupées. « Grâce au biogaz, nous chauffons les serres, consommons un courant fait maison et diversifions nos revenus en vendant nos surplus d’électricité », se réjouit Charles Millo. Et la commercialisation, localement, du digestat comme engrais, sans lourde production ni longs transports, contribue de multiples façons à la protection du climat.
Convergence d’intérêt comparable à l’autre bout de la Suisse, à Tägerwilen (TG), entre le producteur de jus de fruits et légumes Biotta AG et son voisin maraîcher Rathgeb Bio. Les deux souhaitaient également s’émanciper des combustibles fossiles. « Le soleil assure la majeure partie de l’énergie dans nos serres, mais celles-ci ont besoin d’un surcroît d’énergie pour maintenir les cultures au chaud et au sec, pour qu’elles donnent le meilleur d’elles mêmes », explique Thomas Meier, responsable finances de Rathgeb. Biotta AG était sur le point de rénover son système de chauffage, une discussion s’est amorcée sur les besoins respectifs : à Biotta il faut de la vapeur et à Rathgeb de l’eau chaude. Les deux entreprises exploitent désormais en commun un chauffage alimenté aux copeaux de bois thurgovien, à raison de 5300 m3 l’an. L’eau chaude est acheminée via la conduite du chauffage urbain vers l’installation de stockage de Rathgeb, et la vapeur est injectée dans la chaîne de production de Biotta. Tous les processus de production et le chauffage des bâtiments de Biotta sont désormais 100 % neutres en CO2, et les serres de Rathgeb à 75 % – les 25 % restants sont dans la ligne de mire, à suivre donc …
Une autre chaudière à bois, à Courtelary (BE), dans le Jura bernois, a initié de manière surprenante un réseau encore plus large, avec trois entreprises de secteurs très différents : une menuiserie, une chocolaterie et une cimenterie. On peut reconnaître au chocolatier Camille Bloch SA une forme de « grand chelem » s’agissant des énergies renouvelables. Le photovoltaïque sur ses toits lui apporte 10 % de ses besoins électriques, et le reste est certifié d’origine hydraulique. Son froid est lui aussi principalement d’origine hydraulique, par un pompage concédé dans la rivière voisine, et atmosphérique grâce à l’installation de free cooling sur le toit. Mais surtout, depuis 2016, la chaleur dans les locaux et tout au long des chaînes de production provient pour la plus grande part de bois régional, via un réseau de chauffage à distance communal né du volontarisme d’un entrepreneur de Courtelary. Avec Camille Bloch, La Praye Énergie SA s’est attaché un gros consommateur en toute saison. « Notre consommation de mazout a ainsi passé de 230 000 à 57 000 litres annuellement – la chaudière à mazout demeure pour le secours et l’appoint », précise Jean-Philippe Simon, responsable Infrastructures de Camille Bloch.
Mais il y a plus. Le réseau tissé entre Camille Bloch et La Praye Énergie s’est étendu à Vigier Ciments SA, à Péry-Reuchenette (BE), par l’intermédiaire des … cendres. Olivier Barbery, directeur de la cimenterie, explique : « Pour produire le ciment, de la roche calcaire est broyée et mêlée de marne à 20 % avant combustion à 1450 °C. On obtient ainsi le « clinker », broyé à son tour en ciment. Tant la combustion du mélange calcaire que celle du combustible pour le four libèrent du CO2. La production d’une tonne de clinker dégageant 0.72 t de CO2, moins il y a de calcaire brûlé dans le ciment, plus l’empreinte carbone de celui-ci se réduit ».
Dès 1995, Vigier avait mis sur le marché une première génération de ciments mêlant clinker et calcaire broyé non cuit. « Lors d’une conversation fortuite, relate Olivier Barbery, le promoteur de la chaufferie de Courtelary m’a expliqué l’élimination des cendres : mouillées et déposées en décharge, taxées au poids. Or il y a une meilleure option : les cendres peuvent entrer pour partie dans le mélange menant au clinker. Donc désormais, nous les récupérons ». Toutefois, « les normes prescrivent encore trop de clinker pur dans des usages que des mélanges assureraient parfaitement », s’agace Olivier Barbery. Les normes devraient évoluer. La protection du climat est un défi collectif …
Vigier Ciments améliore son bilan carbone aussi, depuis 1976, en remplaçant progressivement les combustibles fossiles par du bois usagé, des boues, de la poussière de tabac, des graisses et farines animales, des solvants et huiles usées, etc. Là encore ce qui ailleurs est déchets … « Notre chaleur est aujourd’hui assurée à près de 97 % par ces combustibles alternatifs ». Le bilan de tout ça, et de quelques autres mesures d’envergure : sur le site, les émissions de CO2 ont été réduites de 35 % depuis 1990, et 40 % sont visés à l’horizon 2021.
Exploitant elles aussi le monde minéral, les Salines Suisses produisent jusqu’à 600 000 t de sel par an sur trois sites : Riburg (AG), Schweizerhalle (BL) et Bex (VD). Sur les sites argovien et bâlois, le sel naturel se trouve à des profondeurs de 200 à 500 m. De l’extraction par dilution et rinçage résulte une saumure, laquelle, après évaporation de l’eau, laissera du sel pour les routes – soit 50 % de la production des Salines –, pour l’industrie et le bétail ainsi que, bien sûr, pour la table.
Les opérations d’évaporation nécessitent beaucoup de chaleur, qui se récupère continuellement via la vapeur dégagée. Grâce à un dispositif expérimenté dès 1877 à Bex par Antoine-Paul Piccard, arrière-grand-oncle de Bertrand Piccard, la vapeur, comprimée, est renvoyée dans le circuit de chauffage d’un grand évaporateur : 30 mètres de haut à la saline de Riburg. Cette dernière, tout en améliorant sans cesse son efficacité énergétique, n’en dégage pas moins de gros surplus de chaleur résiduelle, « un peu comme une malédiction », sourit François Sandoz, son responsable technique. Une bénédiction en revanche pour un voisin avide de chaleur arrivé en 2018 : le producteur suisse de crevettes SwissShrimp. La chaleur excédentaire de la saline est désormais acheminée via le réseau de chauffage urbain vers la ferme d’élevage et ses bassins, « pour une production de crevettes écologique et durable », se félicite François Sandoz.
Et lorsqu’on dispose d’excédents de chaleur mais pas de voisin qu’ils pourraient intéresser ? Une entreprise avec plusieurs bâtiments peut évidemment jouer à être son propre voisin. Ce qu’a fait B. Braun Medical SA à Crissier (VD).
Cette entreprise allemande toujours familiale née il y a 180 ans emploie aujourd’hui 63 000 personnes dans le monde, dont 365 à Crissier. Le site vaudois produit des poches de solutions standards pour perfusion, irrigation et remplissage vasculaire, des poches pour la nutrition parentérale, des poches pour solutions à usage urologique … Avec une utilisation d’eau et d’énergie conséquente, B. Braun a choisi en 2018 de récupérer la chaleur des effluents issus de ses procédés – eaux de rinçage, de refroidissement … « Il a fallu organiser un circuit aérien complexe pour contourner un sous-sol déjà encombré de conduites et de câblages entre les bâtiments. Mais ça en valait la peine !», décrit Michel Monti Cavalli, responsable ingénierie et services techniques. « Au cœur du dispositif, une très grosse pompe à chaleur de nouvelle génération assure dans notre circuit de chauffage une température de 75 °C grâce à la chaleur récupérée sur des effluents à 20-35 °C. ». De quoi assurer désormais jusqu’à 97 % des besoins de chauffage des locaux de manière quasi neutre climatiquement et sans aucun risque pour la couche d’ozone grâce au liquide frigorigène innovant de la pompe à chaleur.
B. Braun Medical SA Crissier a ainsi réduit très fortement son recours aux carburants fossiles et par conséquent ses émissions de CO2 dans une même mesure, ce qui autorise un retour de taxe qui contribue à la rentabilité de l’installation.
Depuis près de quatre milliards d’années, le grand réseau du Vivant prospère, progresse avec le succès que l’on sait, sur ce principe que ce qui est déchet pour un organisme est une ressource pour un autre. En s’en inspirant, il semble bien que notre tissu industriel ne court guère d’autre risque que de progresser, prospérer lui aussi !
Entretien avec Olivier Andres,
CEO Steen Sustainable Energy SA, Lausanne, ancien directeur général de l’Office canatonal de l’énergie de l’État de Genève
Rien de très surprenant à parler « réseaux » dans un contexte où l’on se préoccupe d’énergie, et pourtant … Il est plus que temps de considérer les réseaux de manière bien plus large – et en même temps, sans paradoxe, bien plus locale – que sous la seule forme des grandes infrastructures de distribution traditionnelles.
La connection entre usine d’incinération et habitations pour le chauffage est devenue banale. Mais toute entreprise avec des excédents thermiques ou des déchets valorisables devrait pouvoir les transférer à une autre entité qui en aurait l’usage : entreprise, collectivité, habitat … Le potentiel suisse pour de telles mises en réseaux a été analysé dès 20101 et la Confédération l’a confirmé dans un rapport en 20182. Mais les investissements tardent et ce potentiel n’est pas exploité. Trop d’entreprises restent dans l’individuel et les énergies fossiles.
Toutefois, la crise climatique et la législation relative au CO2, moins abstraites que la question énergétique, suscitent une prise de conscience, nous le constatons en tant que bureau conseil. Des collectivités marquent de l’intérêt pour un concept territorial inventoriant leurs ressources locales en énergies, matériaux, déchets … et les possibilités de développer et mutualiser celles-ci. Les entreprises ont leur place dans ce concept, et cette circulation de ressources peut leur apporter des revenus additionnels.
Ils ne sont pas techniques. A l’ère du numérique, des technologies puissantes permettent l’usage et l’échange collectifs, rationnalisés de flux d’énergie, électrique ou thermique, et de matériaux.
Cette transition profitable à l’environnement et à l’économie est toutefois insuffisamment soutenue par un acteur incontournable, la finance. Il y a moins de risques à financer un quartier d’habitation que des infrastructures pour mutualiser les rejets et déchets d’une zone industrielle dont une entreprise-maillon peut fermer inopinément et ainsi affaiblir ou interrompre un réseau d’échange.
L’Etat pourrait là tenir un rôle : rassurer en cautionnant les investissements des entreprises ou d’investisseurs extérieurs. Sans se priver de voir grand : plus les entreprises concernées sur une zone seraient nombreuses, plus les risques diminueraient, mutualisés eux aussi.
Au niveau politique, on m’a souvent expliqué qu’on ne dirige pas un Etat comme une entreprise, les décisions et les actes ne peuvent y être aussi rapides, effet d’alternance. Pourtant, l’urgence sanitaire de 2020 a été abordée vite avec des moyens qui permettraient de répondre à l’urgence climatique. Celle-ci aura bien plus d’impact, mais c’est à plus long terme, aussi la traite-ton plus légèrement. Quant à l’examen administratif des projets, il fonctionne par petites décisions successives qui en occultent la globalité et l’intérêt général. On s’accordera pour dire qu’une énergie renouvelable à partir de déchets locaux, favorable au climat, est un pas dans la bonne direction. Mais que de pas pour ce pas ! Longues démarches fragmentées, oppositions, révisions … Le réseau décisionnel devra être rendu bien plus fluide et à vue plus globale si l’on veut une transition de même.
Sources mentionnées :
¹ « Le chauffage à distance en Suisse – Stratégie ASCAD », Livre blanc de l’Association suisse du chauffage à distance, bureau Eicher + Pauli, 2014
² « Guide chauffage à distance / froid à distance, rapport final»-suisseenergie, 2018 Toutes deux disponibles sur www.fernwaerme-schweiz.ch
28.08.2024
Dans la « branche verte », l’énergie est un important facteur de production. En collaboration avec l’AEnEC, plus de 150 petites et moyennes entreprises horticoles et 35 grandes, toutes membres de l’association faîtière JardinSuisse, ont mis en oeuvre une large palette de mesures pour améliorer leur efficacité énergétique.
L’entreprise horticole Zumstein vend aussi ses plantes dans ses halles de Schönenbuch.
Le nouveau bâtiment de Guggenbühl Pflanzen SA offre une surface de vente de 4000 m2.
Millo & Cie : De la collaboration entre un horticulteur et un agriculteur a grandi un projet énergétique exemplaire, fondé sur le recyclage, le renouvelable, le local.
L’économie suisse améliore son efficacité énergétique depuis près de deux décennies avec la collaboration de l’AEnEC. Elle a déjà réduit ses émissions de CO2 de 30 % par rapport à 1990, bien que l’activité économique ait augmenté. JardinSuisse a été parmi les branches pionnières de cet élan. Le climat suisse impose aux horticulteurs, pépiniéristes, fruitiers, maraîchers… l’utilisation de chaleur. L’énergie est donc un facteur de production et de coût important pour la branche et son utilisation réfléchie y est une évidence.
La Suisse jouit de bonnes conditions cadres pour l’amélioration de l’efficacité énergétique. Elles conjuguent des taxes incitatives avec la possibilité pour les entreprises d’en être remboursées lorsque des objectifs d’efficacité, fixés par une convention, sont atteints. Ce point est fondamental pour assurer que l’industrie ne subisse pas de désavantages concurrentiels en étant activement engagée dans la protection du climat. La convention d’objectifs est élaborée en étroite concertation avec un conseiller accrédité par l’AEnEC.
Dans le cadre de son modèle Energie destiné aux grands consommateurs, l’AEnEC travaille avec des groupes d’entreprises d’une même branche. Ainsi, des entreprises membres de JardinSuisse se sont réunies en deux groupes soutenus par l’association. Cette voie collective permet à de petites entreprises de bénéficier d’une convention d’objectifs commune leur donnant accès aux conditions réservées aux grands consommateurs. Indépendamment, ces entreprises ne seraient pas éligibles à un remboursement de taxes. Dans les deux groupes JardinSuisse, les entreprises échangent sur les innovations et les solutions techniques et fixent ensemble les objectifs d’efficacité, sous l’égide de leur conseiller AEnEC. Le suivi annuel de l’AEnEC permet à chaque entreprise et au groupe de situer les progrès par rapport aux objectifs.
Il offre un double avantage avec un seul instrument : il permet aux entreprises de satisfaire aux conditions édictées par les cantons pour les grands consommateurs d’énergie et fonde les demandes de remboursement de la taxe sur le CO2 et du supplément réseau. Le principe de la convention d’objectifs assorti de l’engagement à mettre en oeuvre des mesures d’efficacité énergétique rentables, adaptées à l’entreprise, selon une planification décidée par celle-ci, profite à tous : aux entreprises, à leur faîtière, à l’environnement !
Josef Poffet, membre du bureau de JardinSuisse, sur la politique climatique suisse
Il faut éviter que des dispositions légales et des démarches administratives n’entravent les entrepreneurs dans leur coeur de métier.
Les entreprises qui contribuent à la réduction des émissions de CO2 par les mesures d’amélioration qu’elles ont mises en oeuvre doivent pouvoir continuer de bénéficier du remboursement de la taxe sur le CO2.
Pour que les entrepreneurs puissent agir pour l’efficacité énergétique à long terme mais aussi dans une optique de durabilité, ils ont besoin d’une politique énergétique cohérente.
28.08.2024