Commencée au XIXème siècle, la production de ciment génère beaucoup de CO2. Des opportunités variées existent cependant pour réduire significativement ces émissions. Ciments Vigier SA à Péry, dans le Jura bernois, déploie ainsi tout un éventail de mesures qui améliorent sans cesse et de manière conséquente son bilan carbone.
Sur le site de Péry-Reuchenette (BE), les émissions de CO2 ont été réduites de 34 % depuis 1990, 40 % sont visés à l’horizon 2021.
L’entreprise Ciments Vigier SA file vers le siècle et demi d’existence. Fondée à Luterbach (SO) en 1871 par Robert Vigier, elle fut la première société suisse à produire du ciment Portland, fabriqué avec des silicates et du calcaire mélangés puis chauffés ensemble. Ce ciment annonçant une révolution dans la construction, en 1891 un nouveau site de production fut ouvert à Péry, idéalement situé en termes de géologie, d’énergie et de transports. La société emploie aujourd’hui en Suisse 1100 personnes sur 37 sites de tailles et vocations diverses – un défi passionnant pour le conseiller AEnEC Erich Lüdi que suivre les conventions d’objectifs qui orientent l’efficacité énergétique de cet ensemble ! Ciments Vigier SA appartient depuis 2001 au groupe français Vicat, rencontre exceptionnelle par-delà les ans : Louis Vicat fut en 1817 l’inventeur du ciment industriel et en 1840 l’initiateur du ciment Portland. Pour produire le ciment de Péry, on broie de la roche calcaire en farine crue, qu’on mêle de marne à 20 % avant de brûler le tout à 1450 °C – la température de flamme requise dans le four est de 2000 °C ! On obtient ainsi le clinker, broyé à son tour en ciment : plus la poudre est fine, plus la résistance du ciment à la compression sera élevée. Tant la combustion de la roche calcaire que celle du combustible libèrent du CO2. La cimenterie de Péry est à l’origine de 1 % des émissions de CO2 en Suisse, sur un total de 5 à 6 % pour le secteur cimentier helvétique. Mais cette proportion ne cesse de se réduire. Olivier Barbery, directeur du site de Péry depuis juin 2015, dresse ainsi un tableau captivant des actions les plus directes engagées au sein de l’entreprise, mais aussi des leviers d’action dans l’environnement de celle-ci : ressources locales en matières premières ou en énergie, transports ou normes de construction par exemple.
DUMPER ÉLECTRIQUE, COMBUSTIBLES ALTERNATIFS …
« Appartenir à un groupe familial permet des initiatives coup de coeur », se réjouit Olivier Barbery. Et de citer en exemple le dumper 100 % électrique livré en 2018, une première mondiale. Dumper ? Un énorme camion qui peut transporter 65 tonnes de roches. Ce géant électrique est le fruit d’un partenariat entre le constructeur, l’importateur, un bureau d’ingénieurs, une haute école biennoise et Vigier, qui a financé le projet aux deux tiers. Le dumper achemine les matériaux arrachés à la carrière vers une unité de concassage. De là, la caillasse est envoyée à l’usine via un tapis roulant de 2,3 km. « Inauguré en 2001, ce tapis roulant avait déjà réduit les transports par camion. Notre nouveau dumper permet d’économiser 55 000 litres de diesel supplémentaires par an, les trajets sont silencieux, sans CO2 ni microparticules et les batteries se rechargent à la descente ! », détaille Olivier Barbery. De quoi pousser plus avant la réduction des émissions de CO2 de l’entreprise : 34 % depuis 1990, 40 % visés à l’horizon 2021. L’usine dégage deux tiers du total de son CO2 pour transformer le calcaire en chaux, et un tiers pour produire de la chaleur par combustion. Dès 1976, Vigier a entrepris de substituer aux combustibles fossiles du bois usagé, des boues, de la poussière de tabac, des graisses et farines animales, des solvants ou encore des huiles usées. « Notre chaleur est aujourd’hui assurée à près de 90 % par ces combustibles alternatifs. Vigier est à cet égard dans le top 3 européen des cimenteries, bien au-delà des 65 % atteints par l’ensemble des cimenteries suisses en 2018 », insiste le directeur.
CO2 ET NORMES ARCHITECTURALES
Sachant que la production d’une tonne de clinker dégage 0,72 tonne de CO2, « moins il y a de clinker dans le ciment, plus l’empreinte carbone de celui-ci se réduit », explique Olivier Barbery. Le clinker pur, appelé CEM I, ne devrait être utilisé que pour des applications exigeantes. Dès 1995, Vigier a mis sur le marché une première génération de ciments dits CEM II mêlant clinker et calcaire cru de haute qualité tiré de sa carrière. Actuellement, les CEM II contiennent de 17 à 27 % de matériaux non chauffés, mais on peut aller au-delà. Des ciments de classe CEM II peuvent contenir jusqu’à 70 % de scories d’aciérie, mais cette ressource est trop éloignée de Péry. « Les CEM II sont des produits éprouvés, mais les normes prescrivent encore trop de CEM I dans des usages où les CEM II conviendraient parfaitement. Et il ne s’agit pas que de terrasses privées ou de dalles de garage : l’adéquation pour les traverses de chemin de fer est démontrée, mais là aussi les normes sont à revoir », déplore Olivier Barbery. La protection du climat est un défi collectif.
D’autres pistes encore sont à l’étude pour juguler le CO2. Le groupe Vicat participe à des projets pilotes en France pour capter le CO2 afin de le stocker ou de le transformer en méthane. On vise aussi un accroissement de la porosité du béton de 30 % à 60 %, afin de doper le processus de réabsorption du CO2.
Vigier exploite aussi sa propre centrale hydroélectrique, tout en participant pour moitié à sept autres centrales en Suisse. La société utilise des moteurs électriques de dernière génération dans sa chaîne de production, elle s’éclaire aux LED et produit de l’énergie avec son long tapis roulant …
Toutes ces voies pour réduire les émissions de CO2 apportent une réponse à la hauteur de l’empreinte carbone de cette production indispensable à notre société qu’est le ciment. Et ces actes nourrissent des réflexions concrètes plus larges, comme en témoigne l’entretien ci-contre.
Informations
BOUCLER LES CYCLES DE MATIÈRE ET D’ÉNERGIE !
Entretien avec Olivier Barbery
Que l’utilisation de ciments à empreinte carbone réduite soit freinée par des normes de construction rappelle que la protection du climat exige une réflexion collective, qu’en pensez-vous ?
Absolument. Le transport par le rail mériterait d’être repensé de même. L’offre actuelle est insuffisante en volume, il y a engorgement, pas de transports possibles la nuit, et c’est une solution coûteuse. Nous ne pouvons dès lors y recourir qu’à 50 %, le reste se fait avec nos camions, alimentés jusqu’à 40 % au biodiesel.
Hors les grandes infrastructures, quelles sont les améliorations possibles plus localement ?
Il y a un potentiel régional pour le bois qui pourrait être bien plus développé. Mais la multitude et l’indépendance des propriétaires forestiers, communes en tête, n’a pas favorisé les infrastructures locales de transformation et de stockage, d’où des transports lointains qui péjorent le bilan CO2 de cette ressource. Pour des raisons semblables, notre entreprise ne peut – pour l’heure – exploiter valablement ses 8 % de pertes de chaleur : techniquement, il nous faudrait accroître nos combustions et pour ne pas compromettre notre bilan carbone, avoir des consommateurs intéressés à proximité, or il n’y en a pas. Nos interlocuteurs de l’AEnEC ont proposé une autre voie : la production d’électricité par turbinage de vapeur dans une machine à cycle organique de Rankine, dite technologie ORC, dans laquelle l’utilisation de fluides organiques plutôt que l’eau permet de produire de l’électricité à une température relativement basse. C’est à voir.
Vous avez néanmoins concrétisé un bouclage de cycle édifiant ?
Un chauffage à distance au bois alimentant des bâtiments de Courtelary, dont la chocolaterie Camille Bloch, a vu le jour à 15 km de notre usine. Son promoteur, menuisier, m’a expliqué l’élimination un peu absurde des cendres, par dépôt en décharge, mouillées et taxées au poids. Désormais nous les récupérons car dans notre cimenterie, elles peuvent être un substitut à nos matières premières. C’est un cycle de matière et d’énergie intelligent, respectueux du climat, selon le credo stimulant de l’écologie industrielle, et dans la philosophie de Vigier. Dans ce sens, une plateforme en ligne qui favoriserait de tels transferts au niveau régional serait un outil intéressant.
Les engagements de Vigier ne vont-ils pas au-delà de ces aspects techniques ?
En plus de la renaturation de nos sites inutilisés, nous sommes impliqués régionalement dans des zones de compensation écologique sur des centaines d’hectares, nous soutenons la création, la protection et l’entretien de nombreuses zones naturelles : pâturages boisés, prairies sèches, zones humides, haies, zones de tranquillité pour la faune ou encore sites de relocalisation pour fleurs rares. Et aussi, nous informons notre voisinage sur tous les points évoqués ici. Suite à un incident sur un filtre il y a quelques années, nous avons proposé une visite de nos installations aux plus « inquisiteurs » de nos voisins de Péry-La Heutte, à leur satisfaction. Nous avons dans la foulée lancé une publication annuelle envoyée à tous les habitants puis suscité une commission communale dédiée.
OLIVIER BARBERY
Directeur de Ciments Vigier SA