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S’engager sur la voie de la décarbonation : le bon moment pour agir

Ce 22 novembre, l’AEnEC a rassemblé, à l’occasion de son 23e Forum romand tenu au Switzerland Innovation Park de Bienne, 120 représentants d’entreprises et d’administrations, ingénieurs, techniciens et chercheurs. Au menu : efficacité énergétique, décarbonation et économie circulaire dans la double perspective des progrès techniques et des évolutions législatives en Suisse mais aussi dans l’Union européenne.

En 23 ans d’existence, l’AEnEC s’est installée, pour près de 4800 entreprises suisses, comme un précieux relais entre les exigences légales et les réalités du terrain. Tant le directeur de l’Agence, Frank Ruepp, que son responsable romand, Martin Kernen, ont pu souligner, en introduction à ce forum, la pertinence de son titre – « Le bon moment pour agir » – en raison des hausses des coûts de l’énergie mais aussi de l’entrée en vigueur prochaine de la loi sur le CO2 et de la loi Climat et Innovation (LCI), deux lois qui introduisent des incitations pour les entreprises à s’engager rapidement sur la voie de la décarbonation.

Entraînements électriques, batteries…

Ce 23e forum AEnEC a apporté, comme les précédents, des éclairages sur quelques-uns des moyens d’action les plus actuels, avec des orateurs provenant de fronts « chauds ». Ainsi, le professeur Andrea Vezzini, directeur du Centre Stockage d’énergie, HES bernoise, a détaillé les perspectives d’amélioration dans l’efficacité des entraînements électriques industriels, à la fois au niveau du matériel, de son dimensionnement et, plus important encore, de l’optimisation de son fonctionnement selon les besoins réels. Il s’agit d’un enjeu majeur pour économiser de l’énergie et des coûts sachant que pompes, ventilateurs et autres équipements entrainés par des moteurs électriques peuvent représenter jusqu’à 80 % de l’électricité consommée par une entreprise ! Sa collègue co-directrice, la professeure Priscilla Caliandro, a évoqué un autre maillon crucial de la transition énergétique et de la décarbonation : le stockage à court terme de l’énergie par l’intermédiaire de batteries, qu’elles soient dévolues à la mobilité ou à des applications stationnaires. Ce domaine de recherche est le versant complémentaire des solutions de stockage d’une saison à l’autre de l’énergie issue d’une production renouvelable – stockage notamment sous forme de gaz de synthèse.

Tourner en rond judicieusement : l’économie circulaire

Si l’AEnEC s’est dans un premier temps concentrée sur l’énergie, sa récente prestation « Gestion efficace des ressources » étend désormais ses modèles d’action à la gestion de l’ensemble des ressources et à une promotion de l’économie circulaire. Spécialiste de ce domaine, Nadja Lavanga, conseillère AEnEC et ingénieure chez Intep – IntegralePlanung, a offert un tour d’horizon des législations au niveau européen et suisse qui tracent la voie vers cette économie repensée, vers des bouclements de cycles de matières et d’énergie, vers la neutralité carbone. C’est d’ailleurs un bel exemple d’économie circulaire qui a conclu le cycle d’exposés du matin : Raphaël Broye, fondateur et directeur de Panatere S.A., a expliqué comment son entreprise recycle en circuit court des déchets métalliques industriels sans eau ni rejet et sans énergie autre que celle du soleil, concentrée par des réflecteurs. L’acier ainsi recyclé présente un bilan CO2 165 fois meilleur que celui, « neuf », obtenu après extraction du minerai en haut fourneau et affinage de la fonte. Panatere S.A. croule aujourd’hui sous les demandes, l’économie circulaire fait peu à peu son chemin.

Le bon équilibre entre théorie et pratique a été assuré également par les ateliers qui ont suivi, appuyés sur des exemples concrets. Il a été question cette année de la décarbonation vue de deux entreprises et de l’optimisation des entraînements électriques – encore ce domaine très actuel, porté par le programme INCITE de la Confédération auquel l’AEnEC est associée. Il a été aussi proposé aux participantes et participants la visite d’un laboratoire de recherche sur les batteries et l’hydrogène, ainsi qu’un échange direct avec des représentants de l’OFEV, questions & réponses autour de la nouvelle loi sur le CO2

La journée s’est conclue par un exposé de Claude A. Stettler, de la Fondation Digger, dont la vocation est d’offrir « un déminage humanitaire sûr, rapide et économique ». Le conférencier a pu souligner ce point commun entre la Fondation Digger et l’AEnEC : convaincre de l’urgence à agir. Comme un retour au titre de ce forum, « le bon moment pour agir » !

Au début 2025, trois modifications législatives importantes pour les entreprises entreront simultanément en vigueur.  

Il s’agit premièrement de la Loi Climat et Innovation, approuvée en votation en juin 2023. Ce texte vise le zéro net, y compris pour l’industrie, et il prévoit un soutien à l’investissement de 200 millions par année pendant six ans pour les projets innovants.  

En deuxième lieu, la loi sur le CO2 a été révisée. Désormais, les petites entreprises peuvent aussi demander le remboursement de la taxe sur le CO2 en prenant un engagement de réduction. Ce texte prévoit également des soutiens à la production de gaz renouvelable à partir de surplus d’électricité. 

Enfin, le troisième dispositif légal est la loi relative à un approvisionnement en électricité sûr approuvée par le peuple le 9 juin 2024, qui a pour objectif le renforcement massif de la production d’électricité renouvelable et l’amélioration du stockage. 

Exigeant, ce nouveau cadre légal offre d’incroyables opportunités d’innovation pour les entreprises. Il convient en particulier de tirer parti des synergies possibles entre la décarbonation de l’industrie et l’approvisionnement électrique hivernal.   

Le défi de la haute température dans l’industrie

Pour l’industrie, le volet le plus difficile à décarboner est celui de la haute température. En effet, jusqu’à 100°, voire bientôt 150°, il est tout à fait possible de produire de la chaleur avec des pompes à chaleur économes en électricité ou de la récupération. En revanche, au-delà de 150°, un segment qui représente environ 70% de la consommation de chaleur de l’industrie, il faut en général soit du combustible, soit de l’électricité directement convertie en chaleur. Cela implique, en tout cas partiellement, de disposer de gaz climatiquement neutre. Or, à grande échelle, le biogaz ne suffira pas. Il convient donc miser sur les gaz de synthèse produits à base d’électricité.  

Valoriser la surproduction électrique estivale

Techniquement, il est possible d’utiliser les surplus d’électricité solaires et hydroélectriques de l’été pour produire de l’hydrogène ou du méthane climatiquement neutre, puis de stocker ces gaz afin de produire de l’électricité en hiver. Cette stratégie présente cependant un défaut majeur : la conversion de l’électricité en gaz de synthèse induit des pertes importantes de l’ordre de 30 à 50 %. Ensuite, la reconversion de ce gaz en électricité induit de nouvelles pertes. Avec ces technologies, il faut environ 3 kWh estivaux pour obtenir 1 kWh hivernal. La double conversion induit donc des déperditions considérables. 

Dans la partie VI de mon ouvrage (voir bio ci-après), je propose une autre stratégie : dimensionner la production solaire, éolienne et hydraulique pour disposer de suffisamment d’électricité en hiver. Et utiliser les surplus estivaux pour obtenir du gaz de synthèse destiné en priorité à l’industrie, ce qui évite les pertes inhérentes à la reconversion du gaz renouvelable en électricité. En abordant conjointement les deux problèmes, nous obtenons une meilleure efficacité globale. 

Grâce au nouveau cadre législatif, ce scénario peut désormais devenir une réalité tangible. On entre en phase de réalisation, et que le meilleur gagne ! 

L’auteur

Conseiller national et membre de la CEATE-N, Roger Nordmann est aussi membre du Conseil d’administration de Groupe e SA et préside celui de Planair SA.  

Il est actif comme consultant indépendant et a publié «Urgence énergie et climat – investir pour une transition rapide et juste » (Favre, 2023, offre spéciale pour les lecteurs/lectrices de Fokus : https://rogernordmann.ch/livre-avec-rabais/

Dans les modèles développés par l’Energy Science Center de l’EPFZ, on ne trouvera pas d’utilisation de l’hydrogène suisse dans la production de chaleur industrielle. En revanche, les combustibles solides et l’électricité notamment sont appelés à remplir ce rôle, surtout pour les températures élevées.

Pour parvenir à une réduction des émissions de gaz à effet de serre à zéro net, il faut également trouver des solutions pour les secteurs pour lesquels il n’est guère possible de renoncer à des agents énergétiques chimiques. Outre le trafic aérien, l’industrie est concernée, notamment en ce qui concerne la production de chaleur industrielle à haute température.  

Actuellement, 32 % – soit 12 térawattheures (TWh) par an – environ de l’énergie nécessaire à l’industrie suisse sont couverts par les combustibles fossiles (OFEN, 2023 ; tableau 4). Ce secteur représente 23 % du total des émissions suisses de CO2 (OFEV, 2022). En partenariat avec d’autres institutions suisses, une équipe de l’Energy Science Center de l’EPFZ, analyse dans le cadre du projet SWEET DeCarbCH comment réduire ces émissions. Le projet s’appuie notamment sur la modélisation du système énergétique suisse dans son ensemble, pour déterminer quels sont les combustibles et les technologies qui permettront la production de la chaleur industrielle nécessaire à l’industrie.  

Nos modèles actuels partent du principe que la consommation finale de chaleur industrielle restera dans les grandes lignes au niveau actuel de 20 TWh par an en 2050. Le choix des technologies à employer pour produire cette chaleur dépend de la température des procédés nécessaire, et bien évidemment de la capacité concurrentielle de la technologie en question. Les procédés industriels requièrent des températures variées, qui vont de 80 °C à bien au-delà de 1000 °C pour la fabrication de ciment. Déterminer avec précision la température à laquelle correspond effectivement le besoin de chaleur industrielle s’est avéré difficile. Pour la modélisation actuelle, par simplification, nous avons donc défini une répartition de la consommation finale (fabrication de ciment non comprise) dans trois plages de température comme suit : 25 % pour les températures inférieures à 100 °C, 25 % pour les températures comprises entre 100 et 200 °C et 50 % pour les températures de plus de 200 °C. 

Large gamme de températures nécessaires

Le solaire thermique et la géothermie en profondeur sont des technologies adaptées aux températures inférieures à 100 °C. Pour atteindre les températures recherchées dans la plage moyenne, entre 100 et 200 °C, ces deux sources peuvent être complétées par une pompe à chaleur industrielle. Autre possibilité, des installations de couplage chaleur-force (installations CCF) pourront produire la vapeur nécessaire aux procédés.  

Les procédés à haute température (plus de 200 °C) exigent des procédés de combustion ou encore des chauffages à résistance qui convertissent l’électricité directement en chaleur. Pour la production de ciment, seuls des procédés de combustion sont envisageables. Les combustibles disponibles pour ce faire sont surtout des gaz (méthane, hydrogène), des liquides (mazout) et des solides (déchets, bois, boues d’épuration, charbon).  

L’équipe de l’EPFZ a calculé un grand nombre de scénarios pour chercher des solutions permettant de fournir de la chaleur industrielle dans une démarche zéro net (illustration 1). Nous avons défini les scénarios sur la base de trois éléments : la valeur cible des émissions de CO2 autorisées (axe des x : de 24 mégatonnes à zéro tonne de CO2 par an) ; le lien Suisse – Europe (ensemble – seule), et le degré d’intégration des innovations – la géothermie par exemple – (conservateur – innovant). 

L’illustration ci-dessus présente la chaleur industrielle produite en 2050. Les trois plages de température mentionnées sont additionnées et réparties selon les différentes sources de chaleur. On observe d’abord que les différentes sources sont présentes dans des proportions relativement égales les unes aux autres ; en d’autres termes, il n’existe pas de source qui dominerait sans équivoque. Lorsque les objectifs fixés pour le CO2 sont élevés – là où des émissions de CO2 d’origine fossile sont encore autorisées –, il existe une forte proportion de combustibles gazeux, pour la plupart du méthane d’origine fossile. Sur la voie du zéro émission net, on observe un passage aux combustibles solides (déchets et bois) et à l’électricité. Lorsque la géothermie est disponible dans les scénarios innovants, elle fournit une quantité de chaleur considérable dans la plage de température basse (inférieure à 100 °C). Dans les scénarios conservateurs dans lesquels l’option de la géothermie n’entre pas en ligne de compte, ce rôle est assumé par le solaire thermique. 

Le méthane, la source la plus importante de combustibles gazeux

La catégorie des combustibles gazeux fournit encore cinq térawattheures par an dans un scénario zéro net ; la proportion d’hydrogène est extrêmement faible, la source la plus importante étant le méthane, qu’il s’agisse de gaz naturel importé d’origine fossile ou de biométhane. La disponibilité du biométhane est toutefois tributaire d’une forte augmentation de l’utilisation de lisier dans la production de biogaz. La faible proportion de l’hydrogène s’explique notamment par le fait que l’utilisation d’électrolyse suivie d’une combustion demande nettement plus d’électricité que lorsque l’électricité est utilisée directement dans un chauffage à résistance.  

L’option de l’hydrogène importé

Mis ensemble, ces résultats indiquent que l’hydrogène suisse jouera un rôle faible dans les applications industrielles à haute température. Ce résultat dépend surtout de la disponibilité d’options alternatives. Mais il est aussi nécessaire que des agents énergétiques chimiques suisses comme le biométhane, le bois ou les déchets soient employés avant tout pour des applications à haute température et non pas pour la production de chaleur ambiante ou d’eau industrielle. L’hydrogène importé pourrait toutefois constituer une option concurrentielle à l’avenir ; il reste toutefois à voir comment l’Europe développera son infrastructure à hydrogène et dans quelle mesure la Suisse pourra se raccorder à ce réseau. 

Références 

Les auteurs 

Rebecca Lordan-Perret est Scientific Outreach Manager de l’Energy Science Center (ESC) de l’EPFZ.

Gianfranco Guidati est directeur adjoint de l’Energy Science Center (ESC) de l’EPFZ. 

Le projet « Salamandre » qu’à mené Liebherr Machines Bulle SA, à Bulle (FR), assembleur de gros moteurs à combustion, est doublement bien nommé : aux couleurs de l’entreprise, la salamandre a été dotée par la légende du pouvoir de vivre du feu. Ce que LMB accomplit avec ses moteurs : lors de leur testage, en une boucle originale, ils contribuent aux énergies du site ! 

Fondé en 1949 comme une entreprise familiale – ce qu’il est resté -, le groupe Liebherr compte 40 sites de production dans le monde, où il emploie 51 000 collaborateurs et collaboratrices. Sa production couvre toute la diversité des engins de chantiers, jusqu’au XXXL – dont la plus grande grue portuaire du monde – ainsi que le domaine des composants électroniques et mécaniques, en particulier les moteurs qui nous occuperont ci-après. Mentionnons toutefois en passant cette pièce hydraulique imprimée en 3D intégrée en 2017 à l’Airbus A380, une première mondiale inscrite parmi les activités du groupe Liebherr dans l’aéronautique.  

Liebherr Machines Bulle SA (LMB) produit essentiellement des moteurs à combustion pour gros engins ainsi que des dispositifs hydrauliques, que Liebherr intégrera à de grosses mécaniques sur d’autres sites. Celui de Bulle, inauguré en 1978, couvre 83 700 m2 au sol pour un total de 188 100 m2. 1500 personnes s’y activent. 

Naissance d’un moteur

Parcours impressionnant que celui d’un moteur au fil de l’usine. Prenons un V20. Ce beau monstre de 4 tonnes arrive à Bulle à l’état de grosse pièce d’acier, avec une première conformation très générale, le plus marquant étant évidemment les vingt ouvertures des cylindres. Depuis l’un des hauts rayons d’entreposage qui flanquent la grande halle d’usinage, le moteur est ramené à hauteur d’homme au milieu de volumineuses machines à commande numérique. Il en visitera quelques-unes pour une série d’opérations fines d’usinage avant lavage. 

Après quoi le moteur quittera l’ambiance « symphonique » de la halle d’usinage – ses souffles, frottements, grondements, percussions… – pour l’ambiance feutrée d’une halle non moins vaste. Là, au fil de chaînes d’assemblage tranquilles, lui seront greffées une succession de pièces fonctionnelles, lors d’un ballet tantôt mécanique tantôt manuel. L’autre extrémité de la halle accueille les moteurs achevés, entreposés en attente du test de contrôle et de qualification… 

Premiers rugissements

Le parcours jusqu’à ce point était déjà passionnant, il le devient plus encore en découvrant que le testage des moteurs ne permet pas seulement d’en évaluer le parfait fonctionnement, il contribue aussi au fonctionnement de l’usine entière. Explication : un moteur en fonctionnement s’échauffe, et quand le test se poursuit pendant de longues heures, c’est une quantité de chaleur considérable qui sera dégagée, dissipée. Ici, dégagée oui mais dissipée non. « Cette chaleur est soigneusement récupérée et redistribuée, utilisée à diverses fins : chauffage des halles, de l’eau de lavage, et au-delà, des bâtiments administratifs. Et à proximité immédiate, la centrale de chauffage de Gruyère Energie réceptionne nos surplus pour les distribuer dans son réseau de chauffage à distance », explique Daniel Wirz, en charge de l’énergie et de la maintenance chez LMB. C’est là un échange de bons procédés : la centrale peut livrer à son tour de la chaleur à LMB quand celle récupérée sur les moteurs s’avère insuffisante. Et il y a plus. « Outre de la chaleur, le testage des moteurs fournit également au site de l’électricité au moyen de génératrices ! » 

Bien d’autres actions…

Voilà pour le plus original : un produit qui devient une source majeure d’énergie sur son lieu de production. « Mais les mesures énergétiques de LMB ne s’arrêtent évidemment pas là », souligne Clément Rebillard, le conseiller AEnEC qui suit LMB. « On peut souligner aussi le remplacement en continu de moteurs électriques et luminaires par des équipements plus performants, l’étude fine et l’optimisation menées sur le fonctionnement des machines-outils – en particulier l’arrêt complet en mode stand-by – ou encore les projets à court et moyen termes autour du solaire et de la production de froid… ». 

LMB pense aussi au-delà de sa consommation d’énergie. Tout en considérant que l’avenir restera ouvert aux moteurs à combustion, il s’agit de préparer le site à l’évolution attendue de la réglementation et des marchés quant à l’utilisation de nouveaux carburants non fossiles - biodiesel, hydrogène… « Le bilan carbone des activités du site a été actualisé en 2024 et complété par un plan de décarbonation à horizon 2050. Les conclusions permettront que des décisions stratégiques soient prises pour préparer l’avenir neutre en carbone », se réjouit Clément Rebillard. 

Fondée il y a plus d’un siècle, Mikron Machining SA est aujourd’hui leader mondial de l’assemblage de machines industrielles ultraprécises, destinées par exemple à la fabrication de composants horlogers, ou de pointes de stylos à bille, pour lesquelles elle détient plus de 95 % du marché mondial. Comment associer la fabrication de machines industrielles ultraprécises avec l’amélioration de son bilan énergétique ? Pour le savoir, nous avons rencontré Bruno Jöhl, chef Supply Chain Division Machining, au siège d’Agno (TI).  

La société Mikron Machining SA, qui fait partie du groupe Mikron, compte actuellement environ 400 collaborateurs (sur un total de 1300) et produit des machines industrielles.

Lorenzo Medici et Bruno Jöhl.

Bruno Jöhl.

Le siège de Mikron Machining SA est situé à Agno (TI), au bord du lac de Lugano. Alors que les grands palmiers qui en ornent l’entrée sont évocateurs de détente, les collaborateurs et collaboratrices sont concentrés sur les machines capables de fabriquer des pièces au millième de millimètre près, soit avec une précision équivalente à une fraction du diamètre d’un cheveu. Produites à plus de 145 millions d’exemplaires par jour, les têtes de stylos à bille ont fait la renommée de l’entreprise : plus de 95 % de celles rangées dans les tiroirs et les mallettes aux quatre coins de la planète sont produites avec une technologie qui provient du Tessin. Bruno Jöhl présente avec fierté le tapis roulant qui fait circuler des machines toutes capables de fabriquer plus de 28 000 pointes de stylos à l’heure. 

Un engagement qui s’inscrit dans la durée

Mikron Machining SA s’engage depuis plus de trente ans dans l’amélioration de son impact environnemental. Elle est l’une des sept entreprises pionnières du Tessin qui a conclu une convention d’objectifs volontaire en 1996 déjà, bien avant l’introduction de dispositions légales contraignantes. Depuis, son engagement pour améliorer son bilan énergétique n’a pas faibli : en 2003, elle conclut sa première convention d’objectifs avec l’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEC) et en 2013, après une nouvelle convention d’objectifs volontaire, elle élabore une stratégie qui débouche sur une rénovation intégrale de ses bâtiments. Grâce à cette rénovation, qui englobe de nouvelles fenêtres, l’isolation du bâtiment, des LED pour l’éclairage et un nouveau système de chauffage, refroidissement et ventilation, Mikron a diminué sa consommation d’énergie par deux tout en réduisant ses émissions de CO2 de plus de 100 tonnes par an. La ventilation a représenté un élément crucial : maintenir une température constante de 20 °C dans une surface industrielle de 6000 m2 demande un système complexe qui chauffe en hiver et refroidit en été. Grâce à une installation de climatisation qui fonctionne au moyen d’une pompe à chaleur en exploitant les rejets de chaleur du processus de production, Mikron Machining SA a réduit ses émissions de CO2 de 130 tonnes par an et sa consommation de mazout de 50 000 litres par an.

Les espaces vides, un luxe énergétique

« La rénovation énergétique et la diminution de la surface ont représenté des étapes décisives », relate Bruno Jöhl durant la visite de la nouvelle zone dédiée à la production de pièces destinées à être utilisées par l’entreprise-même. « Nous avons réduit notre surface en la faisant passer de 4000 m2 à 2000 m2 environ tout en gardant les mêmes capacités de production. Cette réduction nous a permis d’économiser jusqu’à 5000 litres de mazout par mois durant l’hiver. » Au plafond, nous remarquons le nouvel éclairage. Il est lui aussi synonyme d’économies d’énergie et de réduction des coûts : grâce au remplacement d’un millier de tubes fluorescents par des éclairages LED de la dernière génération, « nous estimons les économies à 120 000 kWh par an », se réjouit Lorenzo Medici, conseiller AEnEC. « Chauffer et éclairer des espaces vides est clairement un luxe énergétique que nous ne pouvons plus nous permettre. » 

Optimisation des processus de production

L’optimisation des processus de production constitue une part essentielle de la stratégie de réduction de la consommation énergétique. « Lorsque l‘on produit des millions de pièces, toute modification, aussi modeste soit-elle, peut faire une grande différence », explique Bruno Jöhl. L’équipe de Mikron Machining SA s’efforce donc en permanence d’optimiser le cycle de production en intégrant plusieurs facteurs, dont la performance énergétique des machines et l’amélioration des outils. Ces adaptations contribuent, en termes de durabilité, à réduire l’impact environnemental des machines produites par Mikron Machining SA y compris lorsqu’elles sont employées par les clients de l’entreprise tessinoise. Ce principe vaut d’ailleurs non seulement pour les nouvelles machines, mais aussi pour les plus anciennes. « Certaines de nos machines ont plus d’un demi-siècle et elles fonctionnent encore parfaitement », relate Bruno Jöhl. « Au lieu d’en installer de nouvelles, nous réparons celles qui sont en place et nous améliorons leur performance énergétique, ce qui évite de les remplacer. » Autrement dit, un bonne façon de ménager de précieuses ressources consiste à offrir une seconde vie à des machines et des outils conçus à une époque où les normes énergétiques différaient fortement de celles d’aujourd’hui. 

Une responsabilité qui va au-delà des frontières

L’engagement qu’a pris Mikron en faveur de l’environnement en réduisant sa consommation d’énergie et ses émissions n’est pas limité aux frontières du pays : le groupe déploie sa politique de durabilité de manière uniforme sur tous ses sites, partout dans le monde. À Agno, le montage d’une installation photovoltaïque sur la toiture est l’une des prochaines étapes qui attendent Mikron Machining SA et les conseillers AEnEC qui accompagnent les travaux. La modernisation de la flotte est également prévue : des véhicules hybrides ou électriques seront employés. Enfin, Mikron entend réduire les émissions indirectes liées à la chaîne logistique de transport de ses fournisseurs. En d’autres termes, Mikron poursuit avec un bel élan sur la voie de la décarbonation. 

François Maréchal, professeur EPFL à Sion, a une vision globale, forte, de cet avenir énergétique où nous aurons contraint les molécules carbonées dans des voies autres que celles privilégiées jusqu’ici. Avec des principes imités de la nature – plus qu’éprouvés, donc !

La vision de François Maréchal est condensée dans le schéma ci-dessous : des matières transformées en produits grâce à un apport d’énergie, et des déchets subséquents recyclés en matières premières et énergie. Cette vision se traduit aussi par des mots. Le présent article cède donc la parole à François Maréchal. « C’est l’économie circulaire prônée pour neutraliser nos émissions de CO2. Un cycle comparable assure la pérennité des écosystèmes naturels. On parlera d’écologie industrielle quand des entreprises échangent matières et chaleur, que les déchets de l’une sont ressource pour une autre, quand le tissu industriel interagit avec les grands réseaux d’énergie, les villes… » Ce regret : « Nos industries du passé appliquaient ces principes. Quand une industrie s’installait, elle créait sur son site d’autres industries pour valoriser ses déchets. Mais avec l’évolution économique, nombre de ces industries dérivées ont changé de main, et si le partage d’infrastructures a perduré, les stratégies coordonnées ne sont plus la règle. »

Or, boucler des cycles sera la clé majeure vers la neutralité carbone de nos sociétés. « La nature a de longue date fait le meilleur usage du CO2, contrôlant sa concentration dans l’air grâce à la photosynthèse, à l’origine une invention bactérienne : de l’énergie solaire, du CO2 et de l’eau combinés en glucose, brique première de la biomasse et réserve d’énergie, tandis que de l’oxygène (O2) est libéré. » Le cycle se referme avec la respiration des organismes qui extraient, dans leurs cellules, à l’aide d’O2, l’énergie du glucose, restituant l’eau et le CO2.

Et le CO2 devint encombrant… 

La biosphère a ainsi entretenu stable, hors catastrophes, le taux de CO2 de l’air. Mais le cycle biologique du CO2 a été débordé par l’essor de la société industrielle porté par la combustion d’ancienne biomasse fossilisée – charbon, pétrole, gaz –, libérant à haut rythme du CO2 en même temps qu’on dégradait les milieux naturels. Replanter de la végétation ne suffira pas, et la capture du CO2 n’est praticable que dans certains secteurs. Il nous faut donc établir de nouveaux cycles spécifiques à nos activités d’espèce à part.

« 70 % des émissions de CO2 de l’industrie découlent de besoins thermiques » (schéma, parte supérieure). Mesures évidentes pour réduire ces émissions : chauffer au juste besoin, récupérer la chaleur, la valoriser par échange thermique à l’aide de pompes à chaleur – jusqu’à 10 à 15 unités de chaleur captées par unité investie en électricité. Cela devrait relever de l’ordinaire après 25 ans de lois sur le CO2 et sur l’énergie, et l’inflation récente des coûts de l’énergie ! Au-delà ? « Le renouvelable doit remplacer le fossile. Ça passera par la conversion des surplus de chaleur en électricité et la gestion de l’intermittence des sources renouvelables en intégrant des solutions de stockage d’énergie sous forme chimique – et solutions idem pour stocker les surplus estivaux de la production d’électricité renouvelable. » Un cycle se précise ainsi, reliant chaleur, électricité et divers gaz, à l’instar de ce qu’opèrent photosynthèse et respiration via CO2 et O2.

Jongler avec les atomes et les molécules

« Par électrolyse, on peut convertir le CO2 et l’eau en carburant (méthane, méthanol, kérosène) en libérant de l’O2. Par le procédé inverse, la pile à combustible, ce carburant peut rendre l’électricité en utilisant O2, avec rejet de CO2 et d’eau. Si le CO2 est capturé, stocké et réutilisé, on reproduit de manière industrielle le cycle de la nature. On peut bien sûr intégrer cycles industriel et naturel. »

Autre voie : « En investissant un peu de courant et de chaleur pour gazéifier à haute température de la biomasse – bois, déchets –, on restitue l’énergie solaire captée par photosynthèse sous la forme d’un gaz dit « synthétique » (syngaz), composé de carburants simples : hydrogène (H2), monoxyde de carbone (CO), un peu de méthane (CH4), transformé pour stockage et distribution sous forme de carburants. La source initiale étant renouvelable, les combustions sont neutres en CO2. Capture et séquestration du CO2 après récupération de son énergie, permettront même des émissions négatives. » Et François Maréchal de souligner : « Si la Suisse utilisait ainsi tous ses déchets de biomasse, elle produirait l’équivalent de la quantité de gaz fossile qu’elle importe aujourd’hui et pourrait stocker les surplus d’énergie solaire avec un rendement de 95 % ! » La gazéification, tout comme la pyrolyse, muent donc la biomasse en un carburant homogène, facile à distribuer et stocker. « Et par électrolyse, il est possible d’y insérer un supplément d’énergie renouvelable pour des applications difficiles, tel le transport aérien, où le poids des réservoirs est un élément critique. »

Incitations

Imiter la nature pour mûrir industries, transports, habitat ou consommation
selon des principes par lesquels la vie terrestre s’est développée et a perduré, ne l’avons-nous pas déjà pratiqué en dotant nos sociétés de « systèmes nerveux » intelligents, tout comme l’évolution l’a fait avec les organismes animaux ? Les réseaux numériques se complexifient, accumulent, traitent, utilisent une infinité d’informations pour, entre mille autres finalités, gérer nos ressources, dont celles du domaine énergétique (schéma, partie inférieure).

Conformer nos sociétés à l’image des écosystèmes et des organismes a certes un coût, mais aussi d’immenses bénéfices, maintenant et dans l’avenir. « Selon l’Agence de protection de l’environnement des USA, le pollueur-payeur devrait provisionner 190 USD par tonne de CO2 émise pour permettre aux générations futures de réparer les dégâts du réchauffement. Ce montant, un minimum, représenterait pour la Suisse 30 milliards/an, comme un subside « octroyé » par nos descendants pour nous permettre d’utiliser les ressources fossiles. » Dans l’immédiat, la loi sur le climat et l’innovation soutiendra des projets de décarbonation innovants avec 200 millions de CHF par an.

En conclusion ? En-deçà des « grands principes », le bon sens ? « Pourquoi donc tarder à se libérer d’énergies fossiles lointaines, soumises aux caprices géopolitiques et péjorant climatiquement, financièrement l’avenir, quand des solutions de décarbonation locales n’attendent que de nous devenir… une seconde nature ? »