Lino Guzzella, ingénieur, professeur à l’EPFZ, nous parle du changement climatique, de technologies récentes et d’approches prometteuses.
Il n’existe malheureusement pas de réponse simple à votre question. Il faudra une multitude de mesures et de changements pour réduire de manière tangible les émissions de gaz à effet de serre (GES). De plus, l’humanité devra elle aussi s’adapter au changement climatique. S’il existe toutefois un principe directeur, c’est qu’il faut à mes yeux rechercher l’optimum économique, car seules les approches économiquement pertinentes auront un effet tangible sur l’environnement.
Le progrès commence toujours par la recherche fondamentale, qui, à son tour, est mue par la curiosité humaine. Ce pan de la recherche est important aussi en l’occurrence, mais les échelles temporelles ne se prêtent que très peu à la définition de solutions rapides. Les projets appliqués qui utilisent la recherche fondamentale existante sont donc plus pertinents pour résoudre le problème du climat. Pour un ingénieur, il est fascinant de faire évoluer une idée trouvée en laboratoire vers un projet pilote puis en définitive vers une grande installation. Il existe des incitations dans ce domaine, mais elles pourraient être développées. Ce qu’il faut surtout, c’est associer un coût aux émissions de gaz à effet de serre, afin qu’une partie de ces ressources soient utilisées pour mettre au point des installations qui ménagent l’environnement. Et il faut également un cadre adéquat (procédures d’autorisation, charges à respecter, lois fiscales, etc.).
La mission est de taille, mais l’humanité est capable de s’attaquer à ces problèmes.
Lino Guzzella, professeur ordinaire de thermotronique à l’EPF de Zurich
Je pense que la Suisse a été et est toujours pionnière, tout comme elle est un havre de créativité dans le domaine des systèmes respectueux de l’environnement. C’était déjà le cas lors des premières phases de l’ère industrielle, quand les ingénieurs et les entreprises suisses ont apporté des contributions majeures. Et c’est encore le cas aujourd’hui. Si je devais citer deux exemples concrets de spin-offs des EPF, ce serait Climeworks, avec sa technologie de capture directe du CO2 dans l’air, et Synhelion, qui fabrique des carburants neutres en CO2 à partir de chaleur solaire à très haute température.
On ne fait jamais trop de recherche et développement. C’est au nom de ce principe que je plaide pour qu’on se consacre à cette thématique fascinante dans les EPF comme dans les écoles professionnelles. Si je pouvais faire un vœu, j’investirais dans des solutions permettant de stocker de grandes quantités d’énergie (plusieurs térawatt-heures) pendant de longues périodes (plusieurs mois, voire plusieurs années). Avec le développement du photovoltaïque surtout, nous aurons trop d’électricité à disposition en été, et pas assez en hiver. Le principal défi à relever à cet égard consistera à trouver un équilibre et à garantir une puissance de base stable.
À cet égard aussi, mon impression est plutôt positive. Ces vingt dernières années, les hautes écoles ont noué de nombreux contacts avec l’industrie, et c’est précisément au niveau de ces interfaces que des structures de premier rang ont été créées en collaboration avec les hautes écoles spécialisées. La Confédération a elle aussi investi massivement, j’en veux pour preuve les programmes spéciaux du Fonds national suisse, sans oublier Innosuisse. Ce qui importera surtout à l’avenir, c’est de convaincre les start-ups de s’intéresser davantage aux thématiques environnementales. Et ce n’est pas si simple, car dans ce domaine, les investissements requis sont généralement bien plus lourds que pour les produits numériques par exemple.
J’espère sincèrement qu’il y a déjà eu des échanges entre l’AEnEC, l’industrie et le monde académique. Et s’il n’y en a pas encore assez, ils constituent un but qu’il faut promouvoir.
Cette question est importante, mais ce qui l’est encore plus, c’est de savoir si le monde atteindra cet objectif. Le changement climatique est un problème mondial, et ce n’est qu’en réduisant les 55 gigatonnes de GES que nous émettons au total chaque année, que nous pourrons atténuer les conséquences négatives du changement climatique. Pour ce faire, il faut procéder de manière réfléchie en optant pour les meilleures solutions sur le plan tant technique qu’économique. La mission est de taille, mais l’humanité est capable de s’attaquer à ces problèmes.
Lino Guzzella est professeur ordinaire de thermotronique à l’EPF de Zurich depuis 1999. Il en a été le recteur d’août 2012 à décembre 2014, puis le président de janvier 2015 à décembre 2018. Ses recherches se concentrent sur les nouvelles approches en matière de dynamique des systèmes et de régulation des systèmes de conversion de l’énergie
19.01.2023